Au Brésil, des municipales « théâtrales » ? Les Brésiliens désignent le 6 octobre leurs élus locaux

C’est plus que des municipales, pourtant d’actualité, puisque les Brésiliens désignent le 6 octobre leurs élus locaux, dont a parlé le président du Tribunal Supérieur de Justice, Herman Benjamin. « L’État », a-t-il dit en réponse à un journaliste de l’hebdomadaire Veja, « est théâtral ». Le propos surprend. Mais la campagne des élections municipales, son contexte, loin d’être étroitement locaux, interrogent le fonctionnement de la démocratie brésilienne.

Peu de ferveur militante, pas d’enthousiasme populaire. Les candidats, acteurs centraux, apparaissent ici ou là, entourés de leurs amis. Radio et télévision organisent des débats. Des autocollants répandent leurs visages toujours souriants, sur murs et poteaux indicateurs de toute nature. Mais le public, les votants ordinaires, la claque mise à part, participe peu. Quelques propriétaires de véhicules arborent sur la vitre arrière la tête de leur préféré/e assorti/e du numéro qui leur a été donné par les autorités électorales. Des militants agitent des bannières, le long de rues fréquentées. Au fil des jours, seuls font recette les coups d’éclat, souvent violents. Dans l’Amapa, le domicile d’un sortant a été perquisitionné, selon la presse, en raison de détournements de fonds publics. À Rio, dans la région dite de la «Baixa Fluminense», d’après la Folha de São Paulo», les candidats du PL, parti de Jair Bolsonaro,  bénéficient du soutien tonitruant et ostentatoire de «miliciens», crème de la pègre locale, liés aux éléments éthiquement égarés des fonctionnaires d’ordre[1]. À São Paulo un débat entre candidats à la mairie est passé du théâtre à la farce le 15 septembre. Porteur des couleurs du PSDB, José Luiz Datena, outré par le propos d’un concurrent, s’est levé, a saisi sa chaise pour asséner un bon coup à l’auteur de l’outrage. Il est vrai que ce dernier, Pablo Marçal, influenceur connu pour ses frasques verbales, comme financières, sur un livret Bolsonariste, ne fait pas dans la dentelle. Au point d’avoir indisposé l’ex-président, son modèle. Si la campagne bat au pouls des montres molles de Dali, les temples pentecôtistes et assimilés, font en revanche salle comble.

Sur des sujets qui intéressent au plus haut point radiotrottoir :  comment gagner correctement sa vie ? Lundi 16 septembre, l’imposante réplique du Temple de Salomon, édifiée avec un jardin biblique, à São Paulo, par l’Église universelle du Royaume de Dieu, a fait le plein. Un millier de personnes, en semaine et à 15 heures, sont venues écouter un pasteur, chanter et prier sur «La prospérité avec Dieu, prêche motivant en vue de succès financier». Les coulisses économiques, environnementales, sociales, pèsent sur le quotidien de la campagne. La nature est bousculée par le phénomène du Niño. Le réchauffement des eaux du Pacifique, a asséché 80 % du pays. Au point que l’hebdomadaire Veja a titré son dossier sur la sécheresse, Vidas Secas, titre d’un film de 1963, symbole d’un phénomène longtemps limité au nord-est du pays[2]. Les dix fleuves principaux du Brésil sont cette année en dessous de leur niveau d’eau moyen. Cinq connaissent une situation critique. Le sinistre agricole est massif. Il a dévasté les terres à café comme les plantations de bananes. Les incendiaire, voleurs de terres, ont saisi l’occasion pour détruire les forêts domaniales aux quatre coins du pays, de l’Amazonie au Pantanal en passant par l’État de São Paulo. À l’exception du sud pampéen, la quasi-totalité des Brésiliens a été littéralement enfumée. 68 635 incendies ont été comptabilisés en août 2024[3]. São Paulo a eu le triste privilège le 2 septembre d’être la ville la plus polluée du monde.

En dépit de l’enthousiasme statistique des macro-économistes, le jour le jour de beaucoup reste difficile. Les rues de Rio et São Paulo, certains quartiers de ces villes sont défigurés par la présence de populations outrageusement pauvres. Pourtant, disent les experts, et ils ont sans doute raison, la croissance attendue cette année est de 3 %. Les programmes sociaux, dont la bien connue « bourse famille », font toujours carton plein. Mais il est tout aussi vrai que le président Lula, depuis son retour au pouvoir le 1er janvier 2023, bien qu’ayant publiquement affirmé son engagement social, n’a pas convaincu faute d’avoir les mains libres. Il manque d’argent. Sa réforme fiscale, «sa prochaine grande bataille », selon l’hebdomadaire Carta Capital, est embourbée dans les méandres d’un parlement, majoritairement conservateur[4]. Soucieux de relancer l’économie en dopant la croissance, Lula plaide pour un abaissement du loyer de l’argent. La Banque centrale, autonome, a le 19 septembre pris une autre décision, en augmentant les taux d’intérêt, qui vont passer de 10, 50 % à 10,75 %. Divers « experts », tout en regrettant le coup de frein qui va suivre une décision qu’ils estiment nécessaire, ont annoncé d’autres hausses pour les prochains mois. Le taux pourrait selon un prévisionniste de la banque Itau, grimper à 12 % en janvier 2025.

Pire pour Lula l’opposition et « sa » presse lui reprochent un immobilisme qu’elles contribuent à perpétuer. Lula sans majorité n’a pas les moyens de sa politique. La bataille engagée pour contraindre le réseau X d’Elon Musk de respecter la déontologie de l’information n’a pas vraiment fait bouger les lignes. Les opposants et leurs médias, le président de la voisine Argentine Javier Milei, ont dénoncé bruyamment une atteinte grave à la liberté de la presse. « L’esprit de la démocratie », a par exemple commenté Pedro Doria dans O Globo, n’a pas été respecté. « La décision de fermer X, est une tragédie[5] ». Les mesures annoncées pour forcer l’adoption de contraintes environnementales bloquées par le Parlement, ont été renvoyées en « boomerang » au président dans le journal O Estado de S. Paulo du 19 septembre. « Un feu ne s’éteint pas avec de la salive », lui a dit le quotidien commentant la réunion provoquée par le Chef de l’État pour mettre en place un «Pacte national» des trois pouvoirs répondant au défi environnemental[6].

Les sondages sont à l’image du scénario accompagnant la partition de la campagne municipale. Selon le quotidien de Rio, O Globo, le président Lula ne fait bonne figure que dans quatre capitales d’États sur 23[7]: Recife, Teresina, Fortaleza et Salvador. Seuls tirent leur épingle du jeu, à quelque quinze jours du vote, les fabricants de la chaise, actrice malgré elle du brutal face à face entre le candidat à la mairie de São Paulo, José Luiz Datena et le candidat Pablo  Marçal. La Folha de São Paulo, a consacré un bon tiers de sa page A14, du 17 septembre, à la description détaillée de «l’objet du délit et du débat», une chaise de 5,5 kilos de la marque Keva, illustrée d’une photo en couleur. Siège anonyme, ayant participé sans l’avoir voulu à une bataille de sièges, électoraux entre éléphants de la vie politique, Keva a ainsi bénéficié d’un coup de théâtre totalement inattendu.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

[1] Folha de São Paulo, 17 septembre 2024, p A17
[2] Film de Nelson Pereira dos Santos, in Veja, 20 septembre 2024, p 22
[3] Par le «Programa Queimadas» de l’Inpe, in O Globo, 3 septembre 2024, p 13
[4] Voir Carta Capital, 28 août, pp 10/15
[5] Pedro Doria, «O espirito da democracia», O Globo, 3 septembre 2024, p 3
[6] O Estado de São Paulo, 19 septembre, p A3
[7] O Globo, 4 septembre 2024, p 4