Alors que Dina Boluarte, l’actuelle présidente du Pérou, est dans la tourmente, accusée d’enrichissement illicite dans le cadre du scandale du Rolexgate, deux ex-présidents se préparent à affronter la justice. Alberto Fujimori, 85 ans, multiplie les vidéos sur Youtube pour tenter de se dédouaner des massacres pour lesquels il a été incarcéré et est encore aujourd’hui poursuivi, tandis que Pedro Castillo, le prédécesseur de Boluarte, nie en bloc les faits qui lui sont reprochés, toujours en détention provisoire.
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Depuis le 7 décembre 2022, Pedro Castillo est derrière les barreaux après avoir ordonné la dissolution du Parlement et annoncé la convocation d’une Assemblée constituante. Une enquête pour “rébellion” s’était ouverte avant que l’ex chef d’Etat ne soit destitué pour “incapacité morale”. Actuellement en prison, il fait face à plusieurs chefs d’accusation. Déjà sous le coup d’une ordonnance de 36 mois de détention provisoire pour corruption (initialement de 18 mois mais rallongée en mars 2023) car accusé d’être aux commandes d’une organisation criminelle, Pedro Castillo est donc également sous la menace d’une seconde ordonnance, pour rébellion, abus de pouvoir et grave perturbation de l’ordre public.
Le jeudi 6 juin, alors que la première période de détention provisoire de 18 mois pour avoir fomenté un “Coup d’Etat avorté” expirait, le Parquet a introduit une nouvelle requête devant la Cour Suprême, demandant à prolonger la détention de l’ex-président qui reste dans l’attente de son procès. Le Parquet estime qu’il existe un danger “persistant” de voir Castillo échapper à la justice s’il était amené à être en liberté conditionnelle tout en sachant que sa femme, Lilia Paredes, est parvenue à s’exiler au Mexique avec leurs enfants.
Dans une audience en présence du juge suprême en charge de l’enquête, Juan Carlos Checkley, et de son avocat, Luis Medrano, Pedro Castillo a fermement nié toute volonté de quitter le pays : « Je jure au nom de ma patrie, de ma famille, des maîtres du Pérou et de ce peuple en souffrance que m’en aller ne m’a jamais traversé l’esprit, que je ne le ferai jamais. Parce que je suis en train de démontrer que toutes ces accusations ne correspondent qu’à un scénario ». Il a ensuite adressé des mots très durs à l’encontre de Dina Boluarte qui lui a succédé à la tête du pays. Le juge suprême donnera son avis dans les semaines à venir mais même s’il rejette la requête du Parquet, Pedro Castillo restera en prison, au moins pour 18 mois encore dans le cadre de l’enquête pour corruption.
Alberto Fujimori, président du Pérou de 1990 à 2000, s’apprête lui aussi à affronter une nouvelle fois la justice nationale. Condamné en 2009 à 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité et corruption durant l’exercice de ses fonctions, il est finalement libéré en décembre 2023, bénéficiant d’une grâce présidentielle “humanitaire”, pourtant contre l’avis de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme. Cette dernière lui avait déjà été accordée en 2017 par Pedro Pablo Kuczynski au vue de son état de santé préoccupant avant d’être finalement annulée à peine un an plus tard.
Désormais en liberté, Fujimori se prépare cependant à vivre un nouveau procès concernant le massacre de six personnes en 1992 à Pativilca, un village au nord de Lima, massacre pour lequel il risque jusqu’à 25 ans de prison. Les habitants de Pativilca avaient été assassinés par le commando Colina, groupe paramilitaire à l’origine d’une cinquantaine de morts et de disparitions entre 1991 et 1992. Depuis quelques temps, l’ancien président se montre très actif sur les réseaux sociaux et notamment sur Youtube où il poste des videos memorias (vidéos souvenirs) dans lesquelles il promet de rétablir la vérité en partageant sa version des évènements. Ces vidéos, qui cumulent des dizaines de milliers de vues, présentent les forces de l’ordre comme des “héros de la pacification” et Fujimori en “sauveur” dans un temps de crise économique et de grande insécurité pour le pays.
Alors qu’une partie de la droite espère encore son retour aux devants de la scène politique, d’autres dénoncent cette “vision négationniste de l’histoire” portée par Fujimori. Ce dernier, en plus du cas Pativilca, est aussi au coeur de cinq autres procédures judiciaires dont une enquête sur les stérilisations forcées de femmes indigènes durant la période à laquelle il était au pouvoir, enquête que ses partisans tentent d’interrompre avec leur projet de “loi d’impunité”. Cette loi vise à faire en sorte que personne ne puisse être condamné pour des actes antérieurs au 1er juillet 2002, jour d’entrée en vigueur du traité de Rome qui a permis la création de la Cour pénale internationale.
Emma TURQUETY