Fondée en 1961 au sud du Chili, la Colonia Dignidad est une colonie allemande qui se transforme en une véritable secte dirigée par Paul Schäefer, ancien SS. Lieu de nombreuses maltraitances, crimes sexuels et de tortures sous la dictature de Pinochet, la colonie est démantelée au retour de la démocratie en 1991. Gabriel Boric a récemment annoncé l’expropriation des terrains pour y construire un lieu de mémoire.
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La Colonia Dignidad ou “colonie de la dignité” a été fondée par Paul Schafer, un ancien SS brancardier pour la Wehrmacht. Après la Seconde Guerre mondiale, il devient pasteur évangélique et fonde “une maison de jeunes” afin d’accueillir des orphelins de guerre. Dans cette maison, il commet plusieurs viols sur mineurs. Après le dépôt de plusieurs plaintes contre lui, il fuit alors l’Allemagne et voyage dans plusieurs pays. En 1961, il s’installe proche de Parral, au sud de Santiago avec 300 compatriotes endoctrinés. Il noue également des liens avec une communauté allemande de nazis en fuite ou riches propriétaires terriens.
Il devient alors un véritable gourou pour la colonie où il se fait appeler “l’oncle permanent” (tio permanente). Il impose à ses fidèles des longues journées de travail forcé, sans contrat de travail et sans jours fériés. Il commet également de nombreux viols et agressions sexuelles. D’après Le Monde, Paul Schäefer utilisait « la religion comme moyen de soumission », « le viol étant un instrument pour garantir la loyauté entre dominants et dominés au sein de la colonie ».
Sur fond d’eugénisme, le gourou instaure une séparation des hommes, des femmes et des enfants. Les colons ne peuvent pas avoir de lien avec l’extérieur et ils y cultivent la terre dans une nostalgie de la Bavière, Etat Allemand. Durant la dictature de Pinochet, la Colonia Dignidad est mise à disposition et devient un lieu de détention et de torture des opposants à la dictature. La Dina, police politique, y enterrait notamment de nombreuses victimes.
L’ancien SS bénéficiait de protections politiques, les diplomates allemands se tenaient à l’écart et le gouvernement allemand estimait que ce qui se passait à la Colonia Dignidad était exclusivement le problème du Chili. Au retour de la démocratie, sous le gouvernement de Patricio Aylwin (1990-1994), en 1991, la Colonia Dignidad est démantelée et devient la Villa Baviera. Elle fonctionne toujours en autarcie et les colons continuent de s’organiser eux-mêmes et d’y cultiver les terres.
Après le dépôt de nouvelles plaintes contre lui, Paul Schäefer s’enfuit en 1997. En 2005, il est arrêté en Argentine et extradé au Chili. En 2006, il est condamné à 20 ans de réclusion pour abus sexuels et 13 ans supplémentaires pour homicides et tortures. Grâce au travail des familles des victimes de la dictature, torturées et tuées à Colonia Dignidad, l’État chilien a déclaré comme Monument national 182 hectares qui se trouvent sur l’ex-colonie.
Aujourd’hui, le lieu est encore occupé par des familles allemandes qui sont à la tête de plusieurs sociétés sur l’ancienne colonie. Le tourisme s’y développe à travers la promotion de la culture allemande. Margarita Romero, présidente de l’Association pour la mémoire et les droits de l’Homme Colonia Dignidad expliquait qu’il « il y a des entreprises de tourisme, un restaurant. Il y a aussi des mariages. C’est une offense envers les victimes de cet endroit qui aujourd’hui demandent réparation. » Ainsi, le président chilien Gabriel Boric a annoncé en juin 2024, le début d’un processus d’expropriation de ces terres afin d’y construire un lieu de mémoire et de recueillement.
Louanne DETRAZ