Au sommet de sa popularité, avec tous les organes du pouvoir à sa main après des élections triomphalement remportées en février, Nayib Bukele a entamé samedi 1er juin son second mandat présidentiel. Lors de son discours, il a notamment défendu le régime d’exception en place adopté pour lutter contre la criminalité, alimentant ainsi les craintes de ses détracteurs qui dénoncent ses dérives autoritaires.
Photo : 24 Horas
Plébiscité pour avoir mené une « guerre » sans merci contre les gangs qui terrorisaient le pays, Nayib Bukele a entamé, samedi 1er juin, son deuxième mandat de président du Salvador. L’ex-publiciste de 42 ans a prêté serment et a reçu l’écharpe présidentielle des mains du chef du Parlement, Ernesto Castro, devant des dignitaires internationaux au Palais national, dans le centre historique de San Salvador. Peu de chefs d’État se sont alignés sur la photo, à l’exception notable du président argentin Javier Milei, avec qui il partage les idées conservatrices et des sympathies pour l’ancien président américain Donald Trump. Ce dernier a d’ailleurs envoyé son fils, Donald Trump Junior, arrivé vendredi soir à San Salvador. Étaient également présents les présidents d’Équateur, du Honduras, du Costa Rica ou encore du Paraguay, ainsi que le roi Felipe d’Espagne.
Des milliers de partisans criaient « Bukele, Bukele ! » sur la place devant le palais, sous un soleil de plomb. Peu après, un défilé militaire commençait, les avions laissant une traînée bleue et blanche, les couleurs du drapeau salvadorien. Nayib Bukele se décrit volontiers comme un « dictateur cool » pour se moquer de ceux qui l’accusent d’autoritarisme et de se maintenir au pouvoir grâce à des magistrats complaisants ayant interprété la loi pour permettre sa réélection, pourtant interdite par la Constitution.
« Ce qu’il a démontré, c’est que la loi n’a pas d’importance et qu’il peut faire ce qu’il veut et comme il veut », estime auprès de l’AFP le chercheur en sciences sociales Carlos Carcach, décrivant un président « tout-puissant ». Bukele aime à répéter les statistiques gouvernementales d’un taux d’homicide réduit à 2,4 pour 100 000 habitants en 2023, contre 87 pour 100 000 en 2019 à son arrivée à la présidence, alors l’un des plus élevés au monde hors période de conflit. Il se targue d’avoir fait du Salvador le « pays le plus sûr au monde ». Mais la fin des crimes et des extorsions des « maras » (les bandes) du Barrio 18 et de la Mara Salvatrucha se paient au prix d’un régime d’exception en place depuis mars 2022 et de 80 300 membres présumés de gangs sous les verrous sans mandat judiciaire. Human Rights Watch et Amnesty International rapportent des cas de mauvais traitements, de torture et même de décès en prison, ainsi que nombre d’innocents privés de liberté.
Inflation et crise économique
Après la violence des bandes criminelles, Nayib Bukele doit maintenant s’attaquer à la dette publique, passée de 19,8 milliards de dollars à quelque 30 milliards, soit 84 % du Produit intérieur brut (PIB), ainsi qu’à la pauvreté, qui a crû de 22,8 % en 2019 à 27,2 % en 2023, selon les données officielles. La dette a été contractée pour des dépenses d’infrastructures publiques, dans la lutte sécuritaire ou contre la pandémie. En revanche, les investissements directs étrangers se sont élevés en 2023 à 759 millions de dollars, contre 171 millions en 2022, selon les chiffres officiels.
Encore faut-il que les investissements dans des mégaprojets immobiliers et touristiques ruissellent jusqu’à ceux qui en ont le plus besoin. « Si nous avons voté pour lui, nous attendons de Bukele qu’il améliore nos vies parce que la situation économique dans laquelle on vit est très difficile. » affirme Blanca Ramos, une vendeuse de bananes de 61 ans. Le coût du panier alimentaire de base a augmenté d’environ 30 % au cours des trois dernières années. « Mon salaire ne suffit plus », souffle Flor Bertran, mère de famille de 36 ans, à la recherche de bonnes affaires sur les étals d’un marché de la capitale. Pour Rafael Lemus, analyste économique indépendant, « il faudrait augmenter les salaires », mais la marge de manœuvre est étroite.
La tentation de se maintenir au pouvoir
Avec un Parlement où son parti Nuevas ideas détient 54 des 60 sièges, Bukele a les mains libres pour réformer la Constitution, après l’approbation en avril par les députés d’un mécanisme pour accélérer les changements. « Ils ont ouvert la porte à toute réforme constitutionnelle », met en garde l’analyste Eugenio Chicas, qui soupçonne Nayib Bukele de pencher vers un « régime dictatorial » et une réélection indéfinie. D’autant que selon Oscar Picardo, directeur de recherche à l’université Francisco Gavidia, « un phénomène de culte (Bukele) s’est installé dans le pays ».
D’après France 24