Le pape François est resté silencieux le dimanche 24 mars sur la Place Saint-Pierre pendant la célébration de la messe des « Rameaux ». Il a malgré tout prononcé quelques mots, appelant à la paix en Ukraine et à Gaza. Il a aussi, ce qui a surpris, évoqué avec compassion l’attaque meurtrière d’une communauté de paix colombienne, la Communauté de paix de San José de Apartado, en Colombie.
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Cette communauté, a-t-il ajouté « avait été honorée en 2018 d’un prix international, en raison de son exemplarité, dans la défense de l’économie solidaire, de la paix et des Droits de l’homme. » La Communauté de San José de Apartado (CDP) en a reçu beaucoup d’autres, aurait pu ajouter le Saint-Père, s’il en avait eu le temps. Finaliste en 2011 du prix Sakharov décerné par le Parlement européen, Mémorial Jean XXIII en 2019, Prix de la paix accordé par l’Association espagnole des Nations unies en 2019. Pourquoi ces prix ? Attribués à un lieu et à un collectif quasiment inconnu ? San José de Apartado est un canton isolé du Nord-Ouest colombien, dans la région d’Uraba, près de l’Atlantique et du Darién panaméen. On y a toujours cultivé avocat, banane, cacao, et plantain. Mais depuis les années 1990, ses terres sont disputées aux 2800 résidents locaux, par des gens armés. Certains sont militaires et d’autres, selon les moments, sont des guérilleros des FARC, des paramilitaires, de Carlos Castaño, ou plus récemment du Clan du Golfe, qui s’est baptisé Autodéfense Gaitaniste de Colombie (AGC).
Beaucoup de paysans ont été victimes des chantages et des exactions des uns et des autres. C’est ici, par exemple, que pour la première fois, des soldats ont tué pour toucher la prime attribuée à tout acte de guerre contre la guérilla. Ces paysans et leurs familles, la CDP, ont décidé d’affronter les uns et les autres en se proclamant, le 23 mars 1997, territoire non violent. Depuis plus de vingt-sept ans, ils réclament le respect de leurs droits, de leur vie, au nom de la morale universelle, et de la Constitution colombienne. Ce choix était inscrit dans un refus, celui de la logique de la guerre interne colombienne. Un conflit qui alimente une spirale mortifère, chacun étant contraint de choisir son armée pour survivre. Cette option non violente n’allait pas sans risque. Les gens militarisés depuis vingt-sept ans contestent cette exigence de paix et de neutralité. San José de Apartado a été la cible d’attaques meurtrières. En particulier le 21 février 2005 par une brigade militaire agissant en coordination avec les paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie.
Les dialogues entre les acteurs de ces violences ont certes permis le désarmement, année après année du M-19, (Mouvement du 19 avril), des FARC, (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), des AUC (Autodéfenses Unies de Colombie) et d’autres. À chaque désarmement de l’un de ces groupes, de grands espoirs sont nés. Les démobilisés ont serré l’ennemi d’hier dans leurs bras, et inversement. Les lois, la Constitution, ont été réformées pour garantir un peu plus le droit à la vie. Le président en fonction, Gustavo Petro, a lancé un appel à la paix totale, à ceux qui refusent de sortir de la violence, la guérilla ELN, (Armée de Libération Nationale), les dissidents des FARC, les bandes criminelles. Il n’a pas vraiment fait bouger les lignes.
C’est cela que le Pape a publiquement regretté Place Saint-Pierre, ce dimanche des Rameaux. « J’exprime », a-t-il déclaré, « ma proximité à la Communauté de San José de Apartado en Colombie, où il y a quelques jours ont été assassinés une jeune femme et un enfant ». En effet, le 19 mars, Nallely Sepúlveda, âgée de 30 ans et son beau-frère Edinson David Higuita, de 14 ans, ont été retrouvés morts, chez eux, dans le lieu-dit, Esperanza, portant bien mal son nom, à quatre heures de marche du village. Les corps sans vie ont été trouvés par les enfants de Nallely, au retour de l’école. Le responsable humanitaire de la Communauté, époux de Nallely, était absent. Les corps ont été identifiés par la Communauté, en l’absence de la police et de la justice, pourtant sollicitées. La CDP a tiré de ce dramatique évènement la leçon suivante : « La CDP accompagne les siens, ses compagnons, assassinés par des mains criminelles clairement tolérées par les institutions ». (…) Peu importe les refus de la justice et de la police (…) peu importe le mauvais temps, les rivières en crue, les chemins pleins de boue. Rien n’importe plus que de rendre leur dignité à deux enfants de la Communauté ».
Il y a peu la CDP avait interpellé le président actuel, Gustavo Petro. Le chef de l’État avait promis la paix, la paix « intégrale » dans son programme électoral. Il est entré en fonction le 9 août 2022. Il doit, demande la Communauté, présenter les excuses publiques de l’État pour les accusations injurieuses faites par l’un de ses prédécesseurs, Álvaro Uribe, considérant que la CDP était quelque part complice de la guérilla des FARC et donc responsable de ce qui lui était arrivé en 2005. Elle réclamait la création d’une commission chargée de faire respecter la justice, de restituer les terres volées aux paysans. Elle lui demandait aussi d’installer un commissariat de police dans le village. Elle sollicitait le soutien de l’État pour qu’il déclare que San José de Apartado est un laboratoire de paix. Elle exigeait enfin la suspension de la construction d’une route traversant le territoire de la CDP qui répondaient aux nécessités des trafics illicites, des paramilitaires.
Le président, accompagné de Francia Márquez, la vice-présidente, avait accepté de dialoguer avec la Communauté. Il s’est rendu sur place, le 18 mars, pour répondre aux interrogations de « l’Assemblée populaire », réunie dans une institution éducative. Le crime commis le lendemain, le 19, est un défi lancé à la Communauté, mais aussi au président et à l’État. Les victimes sont des proches du coordinateur humanitaire de la CDP. Le président Petro avait adressé, le 18 mars, un appel aux paramilitaires les invitant à négocier. Les AGC avaient répondu par l’affirmative sous réserve d’être considérés comme une armée politique et non comme un groupe délinquant. Gustavo Petro a aujourd’hui retiré sa proposition. Il a, dans un bref message, condamné « les forces obscures qui aspirent à reconstruire le paramilitarisme dans le nord-ouest du pays ». Une délégation de la Communauté de paix de San José de Apartado s’est rendue dans plusieurs pays européens il y a quelques semaines. Elle sollicitait une mobilisation de tous ceux qui ont accompagné son combat pour la justice, le droit et la non-violence.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY