Eugenia Almeida est née à Córdoba en 1972. Professeure, journaliste, elle est l’auteure d’un recueil de poésie, d’un essai et de romans.
Photo : Éditions Métailié
Le patron d’une casse où l’on désosse des voitures parfois volées, des adolescents voyous ou presque, un professeur d‘université obsédé par les voitures de collection, et en particulier par la sienne, qui soupçonne sa femme « d’aller voir ailleurs », une voyante qui voudrait convaincre sa nièce de la rejoindre dans son activité, un ministre de l’Intérieur, plusieurs policiers pas tout honnêtes, la fille d’un des protagonistes exilée loin de l’Argentine, les personnages de La casse sont nombreux, ils se croisent, se défient, se soumettent ou résistent aux chantages qui leur sont imposés ou qu’ils imposent à plus faibles qu’eux. Ils essaient, tous, d’étaler une force, physique ou morale, qu’ils n’ont pas, jouent les durs ou les « gagnants » de la société selon la classe à laquelle ils appartiennent, mais le lecteur n’est pas dupe. Eugenia Almeida démythifie les flics pourris, les petits loubards qui roulent des mécaniques à destination de leurs copains comme les hautes sphères de l’Administration de cette province argentine jamais nommée. Son roman décrit une réalité nationale, pas seulement argentine, mais la narratrice fuit l’hyperréalisme pour voiler d’un certain mystère des actions bien réelles, elle veut obliger le lecteur à y accéder de lui-même : la plupart des courts chapitres commencent par une situation ou un dialogue dont on ne saura qui ils concernent qu’au bout d’une page.
C’est parfois inconfortable, un lecteur un peu paresseux sera peut-être frustré (cela demande une certaine attention, pour fixer les personnages surtout), mais cela permet, en plus de cette participation du lecteur dont je parlais, de créer une atmosphère très particulière, littéraire, pourrait-on dire, qui rend plus crus encore les rares moments de violence auxquels on assiste. La narratrice a aussi le bon goût de laisser beaucoup de portes ouvertes à la fin de son récit. Il n’y a pas que les voitures qu’on casse ici, c’est toute une société dont l’auteure montre les failles. Par son style, par sa façon de faire avancer son intrigue multiple, Eugenia Almeida donne une véritable originalité à un sujet très souvent exploité avant elle.
Christian ROINAT
La casse, traduit de l’espagnol (Argentine) par Lise Belperron, éd. Métailié, 208 p., 20 €.
Eugenia Almeida en espagnol : Desarmadero, ed. Edhasa, Buenos Aires / El colectivo, ed. Roca, Barcelone.
Eugenia Almeida en français : L’autobus / La pièce du fond / L’échange, éd. Métailié.