Iván Simonovis, 64 ans, ancien chef du renseignement et de la sécurité du leader de l’opposition Juan Guaidó, a été la première personne à révéler, depuis Miami, l’enlèvement à Santiago de l’ancien lieutenant vénézuélien Ronald Ojeda, réfugié politique au Chili. Il est convaincu que l’enlèvement a été commis par des agents de renseignement du régime de Nicolás Maduro. Simonovis n’est pas un amateur : il a passé plus de vingt ans dans les rangs de la police d’investigation vénézuélienne et a été emprisonné quinze ans pour son opposition au chavisme, jusqu’à sa fuite en 2009 et l’obtention de l’asile aux États-Unis. Pour lui, le mystère principal de l’affaire est le suivant : quel pourrait être le degré d’importance d’un lieutenant pour justifier une opération de cette envergure ?
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Quelle est votre hypothèse sur l’identité des auteurs ?
L’information disponible ne permet pas d’avoir une vision claire sur ce qu’il se passe réellement. L’épouse et la sœur -accompagnées du jeune fils de Ronald (4ans) – ont donné des témoignages auprès du service d’enquête de la police (PDI), et donc ce que nous avons ce sont des extraits de ce qu’elle a transmis. Ce que l’on sait, c’est que monsieur Ronald Ojeda Moreno a certainement été enlevé par des individus dans la nuit, ensuite la voiture dans laquelle il avait été transporté a été retrouvée, et dans ce véhicule, je crois même qu’il y avait son téléphone qui avait été cassé, ainsi que les vêtements des individus qui se sont présentés chez lui en se faisant passer pour des fonctionnaires de la PDI.
Pourquoi le service de renseignement de Maduro serait-il intéressé par l’enlèvement ou assassinat de Ronald Ojeda, un ancien lieutenant ?
Moi je ne connais pas Ojeda personnellement. J’ai une relation ou plutôt une conversation avec un de ses collègues parce que j’ai été chargé de la sécurité et de renseignement du gouvernement intérimaire de Juan Guaidó, et à ce moment-là, j’ai été en contact avec de nombreux officiers militaires et policiers. Je connais le lieutenant Rodriguez, qui est un de ses camarades et qui m’a informé. Ils faisaient partie d’un groupe d’officiers qui ont été dégradés, expulsés de l’armée, accusés de conspiration et finalement emprisonnés. Pendant leur détention il y a eu un transfert, et dans ce transfert ces officiers se sont évadés, de plus, un officier parmi les prisonniers est décédé pendant l’opération.
Ronald Ojeda faisait partie de la Garde National, n’est-ce-pas ?
Non, de l’Armée.
Avec qui vit-il ?
-Il a un fils, lui vivait avec sa femme, et avec une sœur je crois, parce qu’à la PDI il y a cette sœur, son épouse et le fils. L’enfant a quatre ans, c’est un bébé.
Avez-vous pu leur parler ?
Non. Elles ne sont pas autorisées à parler à qui que ce soit. Elles passent un message par téléphone ou autre, mais personne n’a pu parler avec elles. Excepté ce lieutenant avec qui je parle, apparemment de temps en temps il paraît que la fille, je ne sais comment, d’une manière ou d’une autre elle sort ou elle envoie un message et c’est tout. Ils ne leur ont pas enlevé les téléphones, mais ils les ont restreints. Ils leur disent de ne pas parler et de ne pas publier sur leurs réseaux sociaux.
Le régime de Maduro sait que cela entraînera des conséquences. Aucun gouvernement ne peut tolérer qu’un autre pays enlève une personne à laquelle il a accordé l’asile. Pourquoi Maduro ferait-il cela ? Comment cela s’explique-t-il politiquement ?
-Le sujet va être de savoir où se trouve le lieutenant Ojeda Moreno. S’il est réellement au Venezuela, ils vont devoir expliquer beaucoup de choses qu’ils ne peuvent pas expliquer. Le problème c’est qu’il n’est pas forcément au Venezuela. Pourquoi ? Parce que le régime de Nicolás Maduro aurait pu sous-traiter, par exemple, le Train de L’Aragua pour qu’il effectue ce travail. Et le gouvernement du Venezuela va se dégager de toute responsabilité et va dire qu’ils ne savent rien de ce qu’il se passe. Et c’est ce que je pense qui pourrait éventuellement se produire, sauf si le lieutenant est là-bas. Si l’on démontre que le lieutenant est là-bas, alors là, la situation va devenir très compliquée. Se demander ce qui leur passe par la tête pour faire tout ça, je ne sais pas. Évidemment que c’est une situation extrêmement délicate et complexe que, comme vous dites, aucun gouvernement ne peut accepter.
Qu’est-ce qui est le plus important dans cette affaire selon vous ?
Ma question est de savoir à quel point un lieutenant peut être important pour justifier une opération de cette envergure. C’est-à-dire, avec les risques que cela représente. Ceci est encore un grand mystère.
D’après Ex ante
Traduit par Sheila Gonzalez Carlin