Le dialogue entre l’Espagne et la Catalogne a débuté en ce début du mois de décembre avec la nomination de l’ambassadeur salvadorien Francisco Galindo Vélez en tant que vérificateur. Sa provenance du « sud profond » soulève des questions inhabituelles dans les médiations européennes. Bien que cette première diplomatique soit saluée, des réactions mitigées en Espagne soulignent les enjeux politiques internes.
Photo : La Jornada
Le 2 décembre dernier s’est tenue à Genève, en présence d’un ambassadeur salvadorien, la première réunion du dialogue convenu entre parties espagnole et catalane, en quasi guerre ouverte depuis 2013. Pour mémoire, Madrid avait refusé en 2012, d’accorder une extension de compétences à Barcelone. Le président de l’Éxécutif catalan d’alors, Artur Mas, avait riposté par une déclaration indépendantiste. Les choses sont allées de mal en pis, jusqu’à la signature, le 9 novembre 2023, d’un Pacte PSOE, Junts per Catalunya .
L’ambassadeur salvadorien Francisco Galindo Vélez, a-t-il été annoncé le 2 décembre par les signataires de ce Pacte, a été chargé d’un commun accord de « coordonner le mécanisme international » et de « vérifier » le dialogue et les négociations ouvertes début décembre à Genève entre les deux parties. C’est à dire de s’assurer que tout ce qui a été négocié par le PSOE, parti du président du gouvernement espagnol, et Junts per Catalunya, formation nationaliste, soutenant le Govern, l’exécutif de la Communauté régionale autonome, est effectivement mis en œuvre.
Francisco Galindo Vélez, n’est pas un diplomate né de la dernière pluie. Son père, diplomate de carrière a, en 1994, été membre du tribunal arbitral ayant permis de trouver un compromis à un différend frontalier entre l’Argentine et le Chili. Outre un diplôme en sciences juridiques et politiques, au Salvador, il a suivi à Genève le cursus universitaire de l’Institut d’études internationales avancées.
Il a commencé sa carrière comme vice- représentant puis représentant du Haut Commissariat des Réfugiés des Nations unies, dans divers pays, de 1987 à 2008. Il a été au HCR responsable du suivi de ces questions à Belize, en Colombie, au Costa Rica, à Cuba, en Égypte, au Guatemala, en France, au Mexique, au Nicaragua, au Panama, au Salvador. Il a à ce titre passé plusieurs années à Genève, deuxième implantation de l’ONU, et siège de nombreuses autres institutions et ONG de périmètre mondial. Il a représenté son pays, le Salvador, en France et en Colombie, de 2009 à 2020. Il a en 2016 précisé la plus value apportée par un bon « vérificateur », donnant l’exemple du conflit salvadorien solutionné en 1992.
Il a ainsi, sans le savoir, défini sa ligne de conduite d’aujourd’hui, comme vérificateur d’accords entre PSOE et JUNTS, en termes peut-être prémonitoires. « Le rôle du médiateur des Nations unies, Álvaro Soto, représentant personnel du Secrétaire Général, Javier Perez de Cuellar, a été primordial. En effet sa présence et sa participation active en tant que partie tierce impartiale ont permis aux deux parties en conflit de surmonter les difficultés, quelquefois liées à l’interprétation des mots (..) d’aller au delà des récits dominants et simplistes des parties » (selon le mot de la Fondation Jean Jaurès. Francisco Galindo Vélez, Le processus de paix au Salvador », 8 août 2016).
Le dialogue ouvert à Genève entre PSOE et JUNTS, le 2 décembre 2023, prétend trouver la voie d’un compromis territorial entre l’État central et la Catalogne. Il témoigne de l’échec de la démarche indépendantiste unilatérale et tout autant celui de la réponse répressive que lui ont donné les autorités centrales. Ce conflit a une origine lointaine, aggravée sous la dictature du général Franco, et réactivé par les gouvernements du Parti Populaire de 2010 à 2018. À cette radicalité centraliste, les nationalistes ont répondu par une radicalité parallèle, un saut vers l’indépendantisme. Pris entre provocations croisées, le différend s’est consolidé et durci. Le conflit est donc bien réel, et bloqué. Le recours au « vérificateur » d’un dialogue dont l’ordre du jour reste à inventer répond à une nécessité, pour tout démocrate partisan de règlements pacifiques entre parties opposées.
Mais ce qui surprend, quelles que soient les qualités professionnelles et démocratiques du « vérificateur », c’est qu’il soit originaire du Salvador, du « sud profond » donc, pour reprendre une terminologie floue, mais à la mode. Plus que surprenante, cette initiative est une première diplomatique. Les conflits, les différends, les querelles entre États, les guerres civiles, ont tous à un moment fait appel à un médiateur, pour faciliter un règlement pacifique. Cet intermédiaire utile, en présentiel ou en coulisse, a toujours été, pour les contentieux du sud, un acteur du « Nord ». Francisco Galindo Vélez, à propos de la sortie réussie de la guerre interne dans son pays, le Salvador, signale l’importance du Groupe de pays amis, « l’Espagne, le Mexique, la Colombie, le Venezuela, avec l’appui important des États-Unis ».
Les querelles du Nord, en revanche, n’ont jamais jusqu’ici été réglées par le recours à un savoir-faire diplomatique du « Sud », qu’il soit profond ou pas. Les guerres européennes de ces dernières années, de la Bosnie à l’Ukraine en passant par le Kosovo, n’ont jamais fait appel à une médiation africaine ou latino-américaine.
Cette première diplomatique, l’acceptation en Europe d’une « vérification » par un ambassadeur issu du « Sud » mérite d’être examinée comme telle, indépendamment de son objet. Son acceptation en Espagne ne va pas de soi. Le chef de la droite libérale et conservatrice, Alberto Nuñez-Feijóo, (PP, parti Populaire), a fait le commentaire suivant à ce sujet, « Il est humiliant que Pedro Sánchez, (président du gouvernement, socialiste), ait pris un citoyen du Salvador pour décider du futur de l’Espagne ». Son amie politique, présidente de la « Région de Madrid », Isabel Diaz Ayuso, a osé un amalgame diabolisant, en déclarant « ils nous mettent dans le même sac que les FARC », ce qui correspond aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie.
Jean Jacques KOURLIANDSKY