Le journaliste, caricaturiste et dessinateur presse le Mexicain Rafael Pineda était en France pour nos Belles Latinas et le journal L’Humanité sous la plume de Luis Reygada revient sur le Mexique, où les journalistes tombent comme des mouches, cet illustrateur de presse engagé adore provoquer les puissants. Droite, grands patrons, médias aux ordres… personne n’est épargné par son crayon acéré.
Photo : L’Humanité
Journaliste, caricaturiste, dessinateur de presse, « artiviste » ? « Je suis avant tout un citoyen qui s’intéresse à la politique et qui utilise le dessin pour exprimer son mécontentement. » Aussi cordial que ses coups de crayon sont aiguisés, Rafael Pineda, alias « Rapé », croque là où ça fait mal, dans une région où parodier les puissants est un petit jeu qui peut conduire six pieds sous terre. Cet endroit, où « la vie ne vaut rien » comme aiment le répéter les refrains du folklore local, c’est le Mexique, un pays où les journalistes meurent autant que dans les zones de guerre : 157 ont été assassinés entre 2000 et 2022. Lui-même a reçu des menaces de mort il y a quelques années, mais pas de quoi se laisser intimider. « Dénoncer la corruption, ceux qui abusent de leurs privilèges, ceux qui ont pillé le pays, c’est mon travail, alors je vais continuer à le faire », ironise-t-il.
La force de la caricature
Né en 1972 à Veracruz, un État de la côte Atlantique, voilà bientôt trente ans que Rapé a fait de cette passion militante son métier. En 1995, il envoie ses premiers dessins au Chamuco, un magazine de satire politique. Vingt ans plus tard, il est nommé directeur de ces pages qui s’adonnent mensuellement au devoir de titiller l’oligarchie locale. Entre-temps, des collaborations dans de nombreux médias, nationaux et internationaux, une forte implication dans l’association Cartooning for Peace, fondée par Plantu. Et des récompenses, comme le prestigieux prix colombien Gabriel-García-Márquez, en 2017, pour une série documentaire sur le fléau des disparitions forcées dans un Mexique martyrisé par la fureur de la guerre contre les cartels (2007-2019). Ou encore le Prix national du journalisme, la même année, pour son dessin Tapis rouge, ironisant sur la situation dramatique de la violence au moment de la visite historique du pape François en terre aztèque.
« Dans le Chamuco, nous avons toujours pu publier ce qui ne nous était pas autorisé dans les autres médias avec lesquels nous collaborions », explique celui qui se définit, « évidemment », comme de gauche. « Mes dessins sont engagés contre la droite, les grands patrons, l’Église, et sans oublier tous les médias qui sont à leur service », explique-t-il. C’est justement pour parler de son travail que Rapé est de passage en France. Invité à la 22e édition du festival lyonnais Belles Latinas, qui s’est tenu du 7 au 18 novembre, il y a animé des ateliers pour parler aux jeunes et étudiants de son métier, de la force de la caricature, de l’importance de la liberté d’expression, en Amérique latine comme ailleurs.
Une bataille politique sans fin
Il profite d’une étape à Paris pour visiter les locaux de l’Humanité, se montre très touché par les prises de position « en bas et à gauche » du journal fondé par Jean Jaurès. La situation en Palestine le bouleverse, lui qui s’est toujours identifié « du côté des faibles », de ceux qui « résistent jusqu’au bout alors qu’ils ont tout pour perdre ». Dans un pays où le camp progressiste a été tenu en échec durant des décennies par un régime verrouillé via de perpétuelles fraudes électorales, nous lui demandons ce qu’a représenté pour lui l’arrivée au pouvoir de la gauche, en 2018, avec la victoire d’Andrés López Obrador ? « C’était quelque chose que nous étions nombreux à attendre depuis bien longtemps, reconnaît-il. La presse avait été beaucoup censurée sous les gouvernements antérieurs, avec les partis PRI et PAN (1929-2018), alors ce changement a été un vrai bol d’air. » Mais qu’en est-il alors de la fonction du caricaturiste vis-à-vis du pouvoir quand on adhère au projet porté par le président ? Engagés depuis toujours du côté des luttes sociales et des partis de gauche, Rapé et sa bande de dessinateurs ont en effet soudainement vu leurs anciens camarades occuper des postes haut placés au sein du gouvernement.
Luis REYGADA (L’Humanité)