Le 10 mai 2013, le dictateur a été condamné à 80 années de prison pour génocide et crimes contre l’humanité commis contre l’ethnie Maya Ixil.
Nos éditions antérieures (1) décrivaient les difficultés des juges guatémaltèques pour mener ce procès à sa conclusion. Les généraux Efraín Ríos Montt (dictateur) et Mauricio Rodríguez Sánchez (chef du renseignement militaire) sont accusés d’être les auteurs intellectuels de crimes contre l’humanité et de génocide envers l’ethnie Maya Ixil. En clair, tortures, mutilations, viols, destructions, pillage et exécution de 1 771 personnes lors de 17 massacres perpétrés dans le triangle des villages ixils de Cotzal, Chajul et Nebaj, département du Quiché. Les avocats du dictateur ont utilisé toutes les clauses légales et plus de 150 recours, non pour prouver l’innocence de leur client mais pour retarder l’issue du procès, poser des obstacles à la justice, tenter d’annuler la procédure et récuser les juges, allant même jusqu’à les menacer ouvertement. Après la résolution partielle des recours par la Cour constitutionnelle et répondant au courage des témoins et des survivants, la présidente du tribunal Jazmín Barrios, les magistrats Patricia Bustamante et Pablo Xitumul, ainsi que le procureur Orlando López, ont courageusement réussi à mener les débats à leurs conclusions. Le 10 mai, la juge Barrios donnait la parole aux avocats des parties ainsi qu’au procureur pour les plaidoyers finaux.
Les plaidoyers
Manuel Jerónimo, représentant l’Association pour la justice et la réconciliation et Ixil lui-même, témoigne : « Durant les années 80, les Ixils ont été accusés de terroristes, de communistes, de subversifs, et ce n’est pas vrai. Ont été assassinés des enfants et des femmes enceintes, des vieillards sans défense… Un terroriste ne vient pas réclamer justice devant les tribunaux. L’armée, oui, était terroriste, elle a commis le génocide. Des centaines d’enfants et de femmes ont disparu »… (2) Pour les avocats des familles des victimes, « l’armée considérait les Ixils comme faisant partie de la guérilla. Nous cherchons seulement la justice. Il s’agit bien de massacres génocidaires : sur 114 corps exhumés, près de la moitié ont moins de 12 ans ou plus de 51 ! » Pour le procureur López, il est prouvé que Ríos Montt exerçait le pouvoir absolu puisqu’il était à la fois président de la République et commandant en chef de l’armée. Il démontre ensuite que, grâce à l’organisation de la hiérarchie telle que décrite dans les Plans d’action militaire « Opération Sofia » et « Opération Victoria 82 » (3), il était au courant de tout ce qui se passait dans le triangle Ixil. Ces plans prévoyaient la mise en application d’une stratégie de la terre brûlée pour anéantir la guérilla. Cette stratégie considérait les civils Ixils comme sympathisants de la guérilla et donc ennemis de l’État : il fallait les éliminer et « ces actions étaient planifiées, répétitives et indiscriminées ». En conclusion, le procureur accuse Ríos Montt d’être l’auteur intellectuel des plans d’extermination de l’ethnie Ixil et de la manière dont les soldats ont massacré ces populations civiles en irrespect total des Conventions internationales du droit humanitaire. Le Ministère public demande 75 ans de réclusion criminelle pour les deux généraux.
La défense des généraux
Ríos Montt : « Quand je suis devenu chef de l’Etat, nous avons dû évaluer avec qui travailler et contre qui nous défendre. Il fallait réorganiser l’État. Les institutions étaient minées par la subversion. Nous ne pouvions pas respecter la Constitution parce que tout était pourri ». Le général semble oublier que ses prédécesseurs étaient d’autres généraux arrivés au pouvoir, comme lui, par un coup d’État ! « Je n’ai jamais eu l’intention ni le projet de détruire quelle qu’ethnie que ce soit. Je ne suis pas un génocidaire. La malédiction du Guatemala, c’est la confrontation humaine à l’intérieur de son peuple et cela, c’est la faute de l’URNG [la guérilla]. Rien dans ce qui a été dit ici ne prouve ma culpabilité. Je n’étais pas commandant de bataillon, j’étais le chef de l’État. Je me déclare innocent ». Rodríguez Sánchez : « Voir défiler tant de témoins racontant leurs peines me brise le cœur parce que je suis chrétien. Mais je veux dire clairement ici que je n’ai donné aucun ordre pour faire cela »…
Le verdict du tribunal
La juge Jazmín Barrios lit le verdict : « En vertu des divers témoignages et avis d’experts, le tribunal conclut qu’il s’est commis le délit de génocide car il s’est voulu l’élimination d’un groupe ethnique, ce qui a conduit à sa soumission et son déplacement forcé. Nous avons des preuves de l’existence de cimetières clandestins. Les squelettes montrent des preuves d’agressions qui corroborent les déclarations des témoins. Les actions violentes ne furent pas spontanées mais le résultat de plans élaborés. Nous considérons que les violences sexuelles sur les femmes adultes, mineures ou âgées, l’assassinat de bébés et de femmes enceintes est une tentative de destruction du peuple ixil. Le général Rios Montt était au courant de tout ce qui se passait dans le triangle ixil. Que le général n’ait rien fait pour y mettre fin est inexplicable. Le tribunal est totalement convaincu que l’intention était la destruction physique de l’aire ixil Cela correspond au crime de génocide en tant qu’auteur. Pour ce crime, nous appliquons une peine de 50 ans de prison. Le général a aussi permis l’application de traitements inhumains envers la population. Cela correspond à des crimes contre l’humanité pour lesquels nous condamnons le prévenu à 30 ans de prison ferme. Le général Rodríguez Sánchez, n’étant pas impliqué dans ces actions, est absout. Ce tribunal pense que reconnaître la vérité aide à soigner les blessures du passé et que l’application de la justice est un droit des victimes. Nous ne voulons pas que ces actes se reproduisent. Nous croyons fermement que pour que la paix existe au Guatemala, il faut d’abord qu’il y ait justice »… L’avocat du général Ráos Montt a déjà annoncé qu’il fera appel devant la Cour suprême. Même si celle-ci annule le verdict, l’Histoire retiendra que le dictateur a été condamné pour génocide. C’est un grand pas dans la lutte contre l’impunité.
Jac FORTON
(1) Editions du 29 mars et du 2 mai 2013.
(2) Cité dans le communiqué de presse du Collectif Guatemala du samedi 11 mai 2013 – Voir Site.
(3) Pour lire ces plans en détail, consulter les dossiers du NSA (National Security Archive de l’Université George Washington).
Site guatémaltèque sur le procès