Alors que l’agenda serré des négociations climatiques internationales du deuxième semestre 2023 a largement été entamé, c’est le tandem présidentiel colombien qui est en figure de proue des pays d’Amérique latine, et peut-être même, au sein des pays du Sud.
Photo : Caucas
C’était en mai 2022 que Gustavo Petro faisait le pari de Francia Marquez, militante pour l’environnement, les droits des Afro-colombiens, et les inégalités sociales, afin de l’épauler à sa tâche de président du “pays de la beauté” comme il aime à le dire. Depuis plusieurs mois, et dans un contexte d’agenda international pour le climat et la biodiversité chargé en amont de la COP28 à Dubaï, le président colombien et sa Vice-Présidente se font remarquer sur l’estrade des dirigeants mondiaux, pour porter haut et fort leurs convictions de lutter contre le changement climatique et de protection de l’environnement. Gustavo Petro et Francia Marquez semblent prêts à tout pour préserver leur précieux pays : la Colombie abrite près de 10 % des espèces floristiques et fauniques du monde, avec pratiquement tous les écosystèmes de la planète représentés, de la toundra aux forêts tropicales humides en passant par la jungle, les rivières et les mers.
Plus largement, Gustavo Petro a soutenu les propositions de réforme de l’architecture financière internationale portées par la première ministre de la Barbade lors du sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé sous l’impulsion d’Emmanuel Macron en juin à Paris. Le président colombien avait en outre réalisé une proposition symbolique de Plan Marshall pour le climat dans une tribune au journal Le Monde en amont du Sommet[1]. L’objectif est que les pays du Sud puissent échanger une partie de leur dette externe contre une action pour le climat et la biodiversité.
Gustavo Petro a proposé plus spécifiquement une réforme des banques multilatérales qui permettrait d’activer ce mécanisme de réallocation de la dette des pays vulnérables pour répondre à la crise climatique. Ainsi, le FMI émettrait des droits de tirages spéciaux sur les dettes des pays vulnérables. L’argent récolté serait ensuite envoyé dans un fonds international, ce qui entraînerait une diminution de la dette publique mondiale et une augmentation réelle des budgets et des fonds publics pouvant être alloués au climat et à la biodiversité. Si le plan Marshall pour le climat ne semble pour l’instant pas avoir fait son chemin jusque dans les rangs décisionnaires des banques multilatérales, certaines idées relatives à la réduction de la dette des pays vulnérables aux catastrophes naturelles se sont quelque peu matérialisées. À l’issue du sommet de juin, les banques publiques de développement ont lancé un appel à l’action pour mettre en place des clauses de la dette dites de résilience climatique qui permettent de suspendre, pendant un temps, le service de la dette de ces pays.
Cependant, le président colombien ne s’en est pas tenu à ces semblants de victoires. Il a continué son travail lors de l’accueil à Carthagène début septembre du sommet Finance en Commun, rendez-vous annuel des banques publiques de développement. Lui et plusieurs de ses ministres ont été particulièrement présents dans les discussions, ne manquant pas de rappeler l’idée de plan multilatéral pour le climat, tandis que la Vice-Présidente le prônait elle aussi lors de la session d’ouverture de l’Africa Climate Week qui se déroulait la même semaine. À Nairobi, Francia Marquez a en effet appelé les pays du G20 à mobiliser des financements pour aider les pays les plus vulnérables au changement climatique, dont la Colombie.
Le pays est effectivement soumis à de nombreuses pressions climatiques et environnementales : il a connu des épisodes d’inondations et de sécheresses intenses ces derniers mois. De plus, près de la moitié des biotopes du pays, et de fait, les multiples espèces qu’ils hébergent, sont menacés. L’extraction de pétrole, de minéraux et de métaux, la déforestation, le trafic d’animaux sauvages et l’impact du commerce de la coca sont autant de facteurs qui contribuent à cette menace, se poursuivant à un rythme soutenu malgré le fait qu’en théorie, environ 10 % du territoire national colombien est protégé.
Dans une tentative de mieux protéger les espaces de biosphère de son pays, Gustavo Petro a été à l’initiative du Sommet pour l’Amazonie qui s’est tenu à Belém au mois d’août avec les sept autres pays abritant la forêt amazonienne. Cela faisait suite à la proposition du Président dans son discours d’investiture en août 2022 de créer un fonds international pour protéger l’Amazonie. D’après l’ONU, entre 2018 et 2021, la Colombie a perdu 7 018 km² de superficie de forêt, un peu plus que l’étendue de São Paulo, à cause de la déforestation. Le président colombien se permet ainsi de faire valoir ses idées sur le devant de la scène internationale d’abord et avant tout car il a œuvré pour la protection de l’environnement mais aussi pour la transition énergétique dès les premiers mois de son mandat.
En août 2022, Gustavo Petro avait annoncé le projet d’arrêter progressivement l’exploitation pétrolière, ce qui avait suscité de nombreux débats. Le pétrole représentait alors un tiers des exportations du pays. En janvier 2023, la décision est prise : le gouvernement ne signera plus aucun nouveau contrat d’exploration pétrolière ou gazière. La Colombie est donc précurseur en la matière dans le monde. Bientôt l’hydrogène vert sera exporté en masse à la place du pétrole. Le pays est en outre réputé pour être en avance sur les sujets de taxonomie verte en Amérique latine, si bien que certains pays, comme le Chili, qui essayent également d’avancer sur ce sujet, la prennent pour exemple. Les notions de capital naturel, de solutions fondées sur la nature, deviennent en effet assez communes dans le vocabulaire des décideurs politiques de la Colombie.
Gustavo Petro n’a pas terminé son combat, malgré les obstacles face à ses propositions souvent jugées radicales. Lors de session d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies le 19 septembre, il a porté un discours engagé : rattraper le temps perdu en mettant fin à la guerre et en réformant le système financier mondial car le monde ne peut pas attendre que les solutions aux crises actuelles viennent d’un mécanisme inhumain qui est à l’origine du problème, à savoir, le marché…
Julie DUCOS.