Occident et Extrême-Occident se sont retrouvés à Paris les 22 et 23 juin 2023. Pour parler de ce qu’il faut bien qualifier de serpent de mer des grandes rencontres entre pays dits du Nord et du Sud, à savoir le financement des retombées du réchauffement climatique.
Photo : Service de presse – Élysée
La sauterie organisée autour du panier de la défunte bourse de Paris, le palais Brongniart, portait cette fois-ci le nom de Nouveau Pacte Financier Mondial. Paris a été les 22 et 23 juin le théâtre d’une version actualisée de la guerre froide, version clef du sud, avec d’un côté l’Alliance atlantique élargie, et de l’autre les Amériques latines et l’Afrique. Grosso modo, parce qu’à Paris, si l’Afrique était bien représentée, des Amériques latines en fait ils étaient quatre, le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le Colombien Gustavo Petro, le Cubain Miguel Díaz Canel et le Haïtien Ariel Henry.
Il y a bien eu de sympathiques embrassades, de larges sourires et de longues poignées de mains. Le tout saupoudré de propos amicaux de circonstance. En continuité avec le sympathique accueil qu’Emmanuel Macron avait réservé à Lula, simple ex-président à ce moment-là, le 17 novembre 2021. Au soir de la victoire du Brésilien, le 31 octobre 2022, le président français avait « bissé ». Il avait été l’un des premiers à appeler Lula pour le féliciter. Rebelote chaleureuse en janvier 2023. Lula venait d’être bousculé par une tentative de coup de force une semaine après sa prise de fonction. Son homologue français lui a téléphoné pour l’assurer de son soutien démocratique.
À cette occasion, les deux présidents s’étaient mutuellement invités dans leurs pays respectifs. Le 20 mai 2023, au sommet du G7 à Hiroshima, au Japon, ils ont officialisé la restauration de relations bilatérales abîmées pendant les années Michel Temer et Jair Bolsonaro. Rien d’étonnant donc que le 23 juin, au sortir du dîner offert au palais de l’Élysée par le premier magistrat français, le Brésilien se soit déclaré « enchanté par la qualité du repas et celle de l’accueil ». Ce qu’a confirmé Emmanuel Macron, qui lui, a parlé d’une rencontre « formidable ».
Il y a pourtant loin de la coupe aux lèvres. On assiste depuis janvier 2023, depuis l’entrée en fonction de Lula, à un étrange ballet où chacun des présidents souffle sur la bougie « rencontres environnementales », en évitant de jouer. Lula s’est fait prier pour venir à Paris assister les 22 et 23 juin à la « Performance » « verte » organisée par son homologue français. Il avait sauté en mars une autre sauterie environnementale inventée par Macron et Ali Bongo à Libreville sur la protection des forêts tropicales. Tandis qu’Emmanuel Macron, sollicité de façon répétée depuis janvier 2023 par Lula qui l’a invité au sommet sur l’Amazonie organisé à Belém les 8 et 9 août par l’OTCA (Organisation du traité de coopération amazonienne)[1], a jusqu’ici botté en lisière de bois.
Il est vrai qu’au-delà de ces querelles d’ego écologiques, il y a au moins quatre désaccords « cordiaux ». Tous rappelés publiquement et sans façon par Luiz Inacio Lula da Silva et Gustavo Petro en cours de Sommet, au palais Brongniart. Un : le changement climatique est la conséquence des politiques industrielles des Européens et des États-Unis. C’est donc à eux de payer leur dette écologique historique pour réparer les pots cassés. Deux : l’Union européenne veut imposer un accord commercial inégal aux pays du Mercosur. Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay, ne signeront pas cet accord au Sommet Union européenne/CELAC (Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe) de Bruxelles le 17 ou le 18 juillet. Les termes du traité doivent être rééquilibrés et donc renégociés entre égaux. Trois : la guerre est de retour en Europe. L’agresseur de l’Ukraine, la Russie, est un État détenteur de l’arme nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité. Ce cercle onusien fermé a pris l’habitude d’intervenir militairement chez les autres. Aujourd’hui la Russie en Ukraine, hier les États-Unis en Irak. Les autres États doivent arrêter une possible escalade. Au-delà de la condamnation de l’agresseur, il faut préparer au plus vite une sortie du conflit par la voie du dialogue. Quatre : si le monde va mal c’est qu’il est dirigé sans partage par ses fauteurs de trouble principaux, membres permanents du Conseil de sécurité. ONU, Banque mondiale, FMI, sont dans les mêmes mains depuis 1945. Il est temps que cela change et que ce cercle soit élargi.
Afin de bien se faire comprendre, ce même 23 juin, le Brésil, avec la Bolivie, le Chili, la Colombie, le Mexique et le Paraguay ont rendu publique une lettre adressée à Joe Biden, président des États-Unis, pour qu’il appuie l’Argentine, en négociations difficiles actuellement avec le FMI. Et que l’on ne nous parle pas de combats partagés pour la démocratie et les droits de l’homme, ont dit les Sud-Américains. Au sein des organismes internationaux, au cœur des conflits armés et commerciaux, il y a des intérêts. L’Occident défend ses intérêts avec toutes sortes d’alliés, qui comme l’Arabie et la Tunisie, ont en partage les valeurs autocratiques de la Russie ou de l’Iran.
C’est dans cet esprit que le Brésilien Lula et le Colombien Gustavo Petro ont joué à Paris une partition révélatrice d’un air du temps en tempo grinçant, pour l’orchestre occidental. En mettant sur la table leurs désaccords avec le FMI, l’Union européenne, le G7 et l’Alliance atlantique. Tout en faisant des propositions centrées sur la nécessité d’aller dans le concret. Par exemple, ainsi que l’a proposé le chef d’État colombien Gustavo Petro, en couplant allègement de la dette à initiatives de défense de l’environnement. En introduisant le contrepoids des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et de leur Banque, dirigée par l’ancienne présidente brésilienne, Dilma Rousseff, pour relancer le jeu des relations internationales, rééquilibrer les rapports économiques avec l’Union européenne et les États-Unis. Lula a rencontré à Paris son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa qui, les 22, 23 et 24 août, accueille le prochain Sommet des BRICS. Par ailleurs, des ponts ont été jetés entre Sud-Américains et Africains afin de construire un club de pays favorables à un dialogue russo-ukrainien. Brésil et Colombie ont posé des jalons. Lula, avant de venir à Paris, en a longuement parlé au pape François. Et à Paris il s’est entretenu avec le Congolais Denis Sassou Nguesso, initiateur d’une démarche de paix africaine.
Toutes choses qui ont manifestement aigri à Paris les regards portés sur Lula et Petro. Signe d’une préoccupation, Emmanuel Macron avait également convié au dîner de tête avec Lula, Dilma Rousseff, présidente de la banque des BRICS. La presse française a relayé le changement de climat, en se faisant l’écho de façon convergente et simultanée d’inquiétudes, de déceptions, concernant la gouvernance intérieure et environnementale de Petro et surtout de Lula…
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] Pays partie : Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam, Venezuela