Nicolás Ferraro est né en 1986 à Buenos Aires. Après des études de graphisme, il se consacre à l’écriture (quatre romans publiés) et au livre : il travaille à la Bibliothèque nationale argentine où il s’occupe de littérature policière. Chronique de Christian Roinat, parue sur son blog, America Nostra.
Photo : éd. Rivages
Dans notre vie banale d’Européens moyens, je ne pense pas que nous aimerions fréquenter les hommes et les femmes de ce roman. Toujours prêts à tuer (parfois pour se défendre, pas toujours), ils ont un lien qui les réunit (je n’ai pas dit les unit) : de jolies quantités de drogues diverses. Un exemple pour les situer : une mission que l’un d’eux avait eu du mal à exécuter (c’est le mot) : la cible devait porter le maillot d’un footballeur vedette et, le maillot étant à la mode dans les rues, le tueur s’était « trompé » quatre fois avant de tomber sur la « bonne » victime. En dehors de cela, ces hommes ne sont pas pires que d’autres, ils ont eu un frère dont ils étaient proches, un père dont ils pleurent la disparition, ils ont une compagne amoureuse. Mais il faut vivre dans ce territoire défavorisé, à la jointure de trois pays, Argentine, Paraguay et Brésil, un de ces endroits si rentables pour passer toute sorte de marchandises.
Et là, un petit avion bourré de cocaïne vient de s’écraser dans la forêt. Les hommes qui en avaient la responsabilité sont pris entre deux feux, entre le commanditaire qui veut récupérer la cargaison et qui a envoyé sur place un type dont la tendresse n’est pas la première qualité, et des paysans voisins dont les champs ont été arrosés par des pains de came qui pourrait bien améliorer leur ordinaire.
Véritable roman choral, mais noir, très noir, l’action progresse : pauvres vieillards arrivés au bout de tout mais qui veulent survivre coûte que coûte, Indiens survivants des génocides anciens, caciques de la drogue qui n’ont pas envie de perdre un seul gramme de coke se démènent pour rester les maîtres de quelques grammes ou quelques kilos de la précieuse marchandise. Les coups de feu abondent, et la consommation de la drogue ne touche pas que les acheteurs. Personne n’échappe à l’emprise du fléau, ceux qui croient la dominer compris. Le vrai sujet du roman est là, moins dans la guerre sans pitié pour récupérer ce qui reste de la cargaison que dans un tableau désespéré des ravages causés par la poudre blanche, plus indirects que les overdoses possibles. Tous en sont victimes, vendeurs à grande échelle, néophytes ou intermédiaires.
Un ancien commissaire tient un établissement peu recommandable, il est par conséquent à l’abri de tout « ennui » venant de ses ex-collègues. On sourit souvent de situations douteuses, mais quand la violence s’impose, dans un camp ou dans l’autre, ça chauffe : des dents arrachées à la tenaille, des coups de feu qui emportent la moitié d’un visage. Il y a aussi des filles « employées » dans les bars de ces messieurs, rien que du bétail, et beaucoup de mineures dans le tas, et des enfants tués par accident quand on tire à l’aveuglette, ce sont des choses qui arrivent.
La violence est terrible dans ce roman, par moments à la limite du soutenable. Mais il y a pire, c’est de savoir d’où elle provient : les responsables sont des hommes (les femmes ne font que passer et disparaître), des hommes au fond pas aussi différents de ce qu’on pourrait qualifier d’êtres normaux. Les circonstances de leurs existences les ont menés là, notre cousin, notre voisin, nous peut-être auraient pu leur ressembler. Glaçant !
Christian ROINAT
Notre dernière part de ciel, de Nicolás Ferraro, traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et Georges Tyras, éd. Payot-Rivages (Coll. Rivages Noir), 264 p., 22 €.