La tension remonte d’un cran entre les États-Unis et le Mexique, suite à l’enlèvement de quatre citoyens américains en début de mois à la frontière. Les Républicains propose d’envoyer l’armée américaine sur place. Une crise politique teintée d’électoralisme, avec en toile de fond l’inquiétante épidémie d’opioïdes aux États-Unis et la violence accrue des cartels à la frontière.
Photo : Nueve Grados
La relation amour-haine entre le Mexique et les États-Unis connaît un nouveau rebondissement après l’enlèvement le 3 mars dernier de quatre citoyens américains par des civils armés, dans la ville frontalière de Matamoros. Ce kidnapping en plein jour a été filmé, la vidéo enflammant rapidement la toile de l’autre côté du Rio Grande. Le mardi 7 mars, les autorités mexicaines retrouvèrent les quatre Américains, deux d’entre eux morts.
Les raisons de cet enlèvement ne sont pas encore clairement identifiées. Il se pourrait que les quatre hommes aient été confondus avec des trafiquants de drogue haïtiens par des membres du cartel mexicain du Golfe. Cette piste semble être privilégiée à l’heure où le bureau du procureur de l’État de Tamaulipas déclare avoir retrouvé une ambulance qui aurait été utilisée par le groupe armé pour emmener les Américains dans une clinique locale afin qu’ils y reçoivent les premiers soins. Dans la nuit du mercredi 8 mars, cinq hommes ligotés, désignés comme les tueurs à gage ayant désobéi aux ordres du cartel, sont retrouvés à Matamoros. Leurs corps sont accompagnés d’une lettre d’excuse censée être signée par les Scorpions, la branche armée du cartel du Golfe.
Le fléau du fentanyl
Les évènements de Matamoros sont à analyser dans le contexte plus large de lutte contre le trafic de drogues et plus particulièrement des opioïdes, sujet qui crispe l’opinion américaine. En effet, ce nouvel acte de violence met une nouvelle fois sur le tapis la question de la consommation d’opioïdes, qui ravage la société américaine et fait la richesse des cartels mexicains. Le dernier en date, le fentanyl, est considéré 30 à 50 fois plus puissant que l’héroïne et tue près de 200 personnes chaque jour aux USA. Cette drogue constitue un gigantesque problème de santé publique aux États-Unis : en 2021, 107 000 personnes sont mortes d’une overdose dans le pays, dont les deux tiers étaient des consommateurs de fentanyl.
Ces chiffres, en constante augmentation année après année, démontrent l’étendue du problème sur le territoire américain. Devenue tristement célèbre après l’overdose du chanteur Prince, la consommation de fentanyl touche principalement des populations rurales, blanches et jeunes. Il y a dix ans déjà, environ 12 % des jeunes adultes âgés de 18 à 25 ans déclarait avoir abusé d’opioïdes prescrits. Cette drogue, généralement fabriquée en Chine, est ensuite expédiée au Mexique, où elle est conditionnée et emballée, avant d’être introduite clandestinement aux États-Unis par les cartels.
Qui est responsable de la crise du fentanyl ? Sur ce sujet, les deux camps se renvoient la balle. Certains élus américains, principalement du camp républicain, accusent le Mexique d’avoir perdu le contrôle de la situation et de ne pas lutter assez activement contre les cartels. Quant aux autorités mexicaines, elles expliquent la puissance des cartels en partie par un trafic d’armes venu des États-Unis. Elles voient la multiplication de la violence sur leur territoire comme une responsabilité partagée, liée à une consommation accrue des opioïdes aux États-Unis, et demandent à leur voisin du Nord d’intensifier les politiques de prévention et de santé publique pour lutter contre ce fléau.
« Nous allons déchaîner la fureur et la puissance des États-Unis contre ces cartels »
Une intervention militaire au Mexique. C’est ce que propose le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, suite à l’enlèvement de Matamoros. En effet, le sénateur reprend une proposition préalablement faite par Donald Trump en 2019 qui vise à désigner comme organisations terroristes les cartels de la drogue mexicains, ce qui autoriserait l’armée américaine à intervenir, même en dehors de ses frontières. Par cette proposition, le camp républicain entend montrer le laxisme de l’administration Biden sur ces questions.
Suite à ces déclarations, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) est monté au créneau, lors de son habituelle conférence de presse matinale : « Nous n’autoriserons aucun gouvernement étranger à intervenir sur notre territoire, et encore moins les forces armées d’un gouvernement étranger. » Jouant de sa rhétorique anti-impérialiste appréciée par une partie de son électorat, le président mexicain ajouta que le Mexique n’était « ni un protectorat des États-Unis, ni une colonie des États-Unis. Le Mexique est un pays libre, indépendant et souverain. Nous ne recevons d’ordres de personne. »
AMLO s’indigne de cette intromission dans la souveraineté mexicaine et rend coup pour coup. Il n’hésite pas à menacer le camp républicain en utilisant un levier inédit : le poids électoral de la communauté mexicaine aux États-Unis. En effet, AMLO conseilla au camp républicain de calmer le jeu sous peine d’utiliser le relais des consulats mexicains aux États-Unis (une cinquantaine, le plus grand réseau consulaire au monde) pour appeler les votants mexicains présents dans le pays (12 millions de personnes) à ne pas voter républicain : « Je veux juste leur dire que soit ils changent leur façon de traiter le Mexique, soit à partir d’aujourd’hui nous allons lancer une campagne d’information aux États-Unis pour que tous les Mexicains, nos compatriotes, soient au courant de cette agression de la part des Républicains contre le Mexique. Et s’ils continuent dans cette voie, nous allons insister : pas un seul vote mexicain ou hispanique pour les Républicains. »
Les élections approchent
Ces interventions sont à remettre dans un contexte préélectoral partagé des deux côtés de la frontière. Aussi bien le Mexique que les États-Unis ont des échéances électorales en 2024. Et les relations bilatérales mobilisent l’électorat. Aux États-Unis, le camp républicain, qui compte sur une nouvelle candidature de Trump, utilise ce sujet pour décrier l’immigration massive et la consommation de drogue. Du côté mexicain, AMLO doit pouvoir tenir tête aux États-Unis pour prouver qu’il a les clés en main pour lutter contre la violence chronique dans son pays mais aussi pour démontrer les relations constructives qu’il entretient avec le camp démocrate.
Suite à cette polémique, une réunion fut organisée par le Palacio Nacional avec la conseillère à la sécurité nationale du président Biden et la sous-secrétaire à la défense intérieure et aux affaires hémisphériques du Pentagone dans le but d’afficher l’unité des deux administrations dans la lutte contre la production et le trafic de fentanyl. À la suite de cette réunion, l’ambassadeur américain au Mexique Ken Salazar déclara que « la chose la plus fondamentale est que nous sommes des partenaires, pour toujours. Il y a parfois des préoccupations et des désaccords, mais nous savons que nous sommes unis par la géographie, nos peuples et nos économies ».
Une union forcée, peu appréciée par l’opposition républicaine, galvanisée par les années Trump, dont les propositions se radicalisent toujours plus. Leur souhait d’envoyer l’armée américaine au Mexique pour combattre les supposés terroristes, en plus d’être contraire au droit international, s’est révélé inefficace dans les pays où elle a déjà eu lieu. Dans tous les exemples récents, la militarisation n’a jamais permis d’éradiquer les trafics de drogue, bien au contraire. Par exemple, la mise en place du Plan Colombia, visant à détruire les plantations de coca en Colombie, s’est avérée être un échec cuisant pour l’administration américaine. En effet, vingt ans après la mise en place de celui-ci et les 10 milliards de dollars injectés par les USA, les plantations de coca dans le pays ont augmenté de 50 000 hectares.
La militarisation n’est donc pas une réponse crédible à long terme pour lutter contre les cartels. De nombreux spécialistes préconisent plutôt un approfondissement des enquêtes criminelles et financières pour couper les routes d’approvisionnement et de financement de ces réseaux. Cependant, cette approche demande un dialogue fort et une coopération accrue entre les autorités des deux côtés de la frontière. Loin de la radicalisation des opinions qu’on a pu observer ces dernières semaines.
Romain DROOG