La 35e édition du festival de cinéma latinoaméricain Cinélatino de Toulouse aura lieu du 24 mars au 2 avril 2023. Au programme : plus de cent-trente films, trois compétitions, et des rencontres et débats avec de nombreux réalisateurs.
Créé en 1989, le festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse s’est imposé au fil des ans comme le rendez-vous européen incontournable avec les films et les auteurs·trices latinoaméricain·es. Le cœur du festival bat son plein pendant dix jours à Toulouse, ville jeune, latine et cinéphile et irrigue la région Occitanie au travers du dispositif Cinélatino en région. Cinélatino, c’est l’alchimie réussie entre un évènement culturel, convivial, exigeant et une plateforme professionnelle performante. Cinélatino, Rencontres de Toulouse est le plus ancien festival consacré à l’Amérique latine en Europe et le plus important en terme de programmation (plus de cent-quarante titres par édition), d’invité·es (autour de quatre-vingt), de présence de professionnel·les (plus de trois-cents) et de fréquentation avec 39 000 participant·es en 2022, et 43 700 en 2021. Comme chaque année le festival organise une compétition de longs-métrages de fiction, une compétition de documentaires et une compétition de courts-métrages (fiction et documentaire). Hors compétition, la sélection de films met en avant des thématiques spécifiques à découvrir : le cinéma colombien contemporain et sa forte présence internationale actuelle, la thématique cinéma et politique au Brésil et le cinéma des actrices qui sont passées de l’autre côté de la caméra.
Un focus sur le cinéma colombien
2022 a été une année marquante pour la reconnaissance de la vitalité du cinéma colombien : il conquiert une solide notoriété dans les festivals du monde entier. L’agence du cinéma colombien rapporte l’augmentation spectaculaire de la fréquentation des salles, qui ont tant souffert de la pandémie et se remplissent à nouveau. Le cinéma colombien a le vent en poupe. En écho aux thématiques propres à l’identité du pays, les œuvres racontent des histoires au plus près des personnes confrontées à une évolution sociopolitique en soubresauts et en espoirs. C’est un cinéma du présent et du futur. Les films en sélection s’imprègnent des questions humaines et politiques et s’engagent dans des audaces créatrices.
Certains explorent le fantastique et l’immersion dans l’onirique. Medellín, Cali et Bogotá sont des centres de création incontestés, mais les problématiques des campagnes émergent. Les récits foisonnent de jeunesse, de révolte et d’espoir dans un cadre de crise sociale et économique sévère. Les jeunes se trouvent malmené·es par des lâchetés politiques et des défaillances familiales. Malgré leurs envies, leur foi dans leur bon droit et leur dynamisme, ils / elles sont confronté·es à un monde implacable. Un pied dans la marge et un autre dans l’espoir, les rois du monde, le « mec », le repenti, le prisonnier, le paysan, les « Alis », bougent les carcans de leur quotidien subi. La famille est un espace instable et la caméra de
Natalia Imery Almario, intime, perce les non-dits. Le cinéma questionne les images : les créer et produire des œuvres comme le cinéaste Victor Gaviria, présenté par sa fille Mercedes ou voir, subir même, la violence quotidienne portée par les images télévisuelles, traumatisme de l’enfance de la réalisatrice Diana Bustamante. Une série en six épisodes, produite par un collectif de Cali, diversifie encore le focus. La sélection de ce 35e Cinélatino vient répercuter à Toulouse le foisonnement d’un cinéma vivant, remuant, effervescent.
Brésil, cinéma & politique
Le Brésil entre aujourd’hui dans une nouvelle ère politique. Les films qui constituent le programme Brésil, cinéma et politique, ont été choisis pour s’articuler comme un puzzle et composer un paysage du Brésil contemporain dans toute sa complexité. La crise politique a consolidé un coup d’État comme moyen d’imposer un agenda néolibéral qui avait été défait lors des quatre dernières élections et qui a ouvert la voie à l’élection de Jair Bolsonaro en 2018. Avant cela pourtant, certaines politiques sociales inclusives des gouvernements précédents avaient déjà profondément transformé le pays. Par exemple, la politique des quotas a permis d’accroître la diversité raciale dans les universités publiques et s’est consolidée comme un mécanisme important de réparation historique dans le pays. Les positionnements politiques du focus sont délibérément forts : la fracture sociale engendre la nécessaire lutte des classes (Une seconde mère) et la lutte contre les violences faites aux femmes prend des chemins surprenants pour inviter à refonder les imaginaires (Règle 34). La dénonciation pointilleuse du procès qui a condamné Lula dévoile les coulisses d’une machination orchestrée pour discréditer la gauche et aider l’extrême droite de Bolsonaro à accéder au pouvoir (Amigo secreto). Au film de Glauber Rocha, Le Dieu noir et le diable blond, dont la copie restaurée vient d’être présentée à Cannes, vient répondre l’œuvre méconnue d’Andrea Tonacci, récit de l’extinction des premiers peuples des terres brésiliennes (Serras da desordem). Radical et sans concession, Mata seco em chamas est en lui-même une rébellion et une résistance, pour faire de la politique librement, pour faire entendre la voix forte et fragile des damnées de la terre. La voie est maintenant ouverte aux cinéastes noir·es : l’état du Minas Gerais est devenue terre de création cinématographique (Cabeça de negô et Um dia com Jerusa) et la lutte contre l’oppression raciale sonne haut et fort en cinéma. Ce cinéma polyphonique offre au public des histoires de rébellion et de résistance, de fantaisie et d’humanité.
Mise en lumière des « RéalisActrices«
En 2014, Cinélatino a mis en lumière les « Femmes de Cinéma » latinoaméricaines. En 2023, c’est un écho à un phénomène récurrent un peu partout dans le monde que propose le festival en parcourant la trajectoire artistique de quatre actrices latino-américaines qui ont été tentées par la réalisation. Or les femmes créatrices de cinéma sont de plus en plus nombreuses, en Amérique latine et ailleurs. En tant que comédiennes, elles marquent les films par la qualité et la finesse de leur jeu, leurs personnalités et leur photogénie : Ana Katz (Argentine), l’excellente jeune maman de Mi amiga del parque, Manuela Martelli (Chili), l’inoubliable Silvana de Mon ami Machuca, Grace Passô, la révélation brésilienne d’Au cœur du monde et Ángeles Cruz, femme au cœur des drames de l’émigration intérieure au Mexique dans
Espiral. Excellentes interprètes, elles se sont imposées avec leurs premiers films comme des réalisatrices immédiatement remarquables : Chili, 1976 de Manuela Martelli a été sélectionné à Cannes, Vaga
carne de Grace Passô à Berlin, Nudo mixteco d’Ángeles Cruz a parcouru le monde et El perro que no calla d’Ana Katz a fait sa première mondiale à Sundance. Les quatre artistes ont fréquenté les planches des théâtres et joué devant les caméras : leur engagement d’actrices n’est plus à prouver. Lorsqu’elles
se prennent au jeu de la réalisation, elles ont quelque chose de personnel à dire, à raconter, à défendre. Que le ton soit sérieux ou léger, les histoires racontent des vies presque réelles, emblématiques des
quotidiens des femmes. Les crises traversées par les populations au Mexique, au Brésil, en Argentine, au Chili se déclinent au féminin : la solitude dans la maternité, la sororité dans les villages désertés par les
hommes partis chercher du travail, la complicité et le déchirement intérieur contre la dictature, la divulgation du machisme ordinaire, les solutions marginales et imaginatives face à la violence, à la pauvreté et au racisme. Étonnantes, inspirantes, politiques et audacieuses, Manuela, Ana, Ángeles et Grace rayonnent en cinéma.
Rencontres avec Tatiana Huezo
Cinéaste née au Salvador, qu’elle a quitté enfant, Tatiana Huezo vit depuis au Mexique et s’inspire de ses deux pays, habités de la même injustice qu’elle combat par ses films, avec lucidité et pudeur. Son cinéma est tout en délicatesse et témoigne de la force et de la dignité des personnes qu’elle aborde dans le documentaire et évoque dans sa fiction. Le regard particulier de Tatiana Huezo est à la fois aigu et
tendre, poétique et politique. Il montre les gens, les situations, et fait résonner les voix. Mais l’image est toujours un peu décalée, comme pour faire un pas de côté et donner la distance juste, celle qui permet
d’arriver au fond du cœur, de ne pas rester à la surface des choses et des gens. Elle aborde les graves maux qui affectent ses deux pays et dénonce l’injustice, l’impunité des criminels, qu’ils soient l’État ou les
narcos, mais tout se passe sans stridence ni grandes démonstrations. La beauté des images reflète le respect des personnes, de leur tragédie, de leur force vitale et c’est la poésie du regard qui induit l’idée
politique. En trois films seulement, elle s’est imposée sur la scène internationale comme une cinéaste incontournable. Née au Salvador en 1972 et vivant au Mexique, Tatiana Huezo est diplômée du Centro de Capacitación Cinematográfica (CCC) et détient un Master en documentaire de création de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone. Après ses premiers courts-métrages tels que Arido (1992), Familia (2004) ou Sueño (2005), elle obtient une renommée internationale avec son premier long-métrage documentaire El lugar más pequeño (2011), diffusé dans plus de cinquante festivals. Après le court-métrage Ausencias (2015), elle réalise Tempestad (2016), présenté en première mondiale à la Berlinale (section Forum) et primé par quatre Prix Ariel – décernés par l’Academia Mexicana de Artes y Ciencias Cinematográficas. Au cours des dernières années, elle a non seulement enseigné le cinéma dans divers contextes académiques internationaux mais aussi écrit le livre El Viaje, rutas y caminos andados para llegar a otro planeta.
D’après ARCALT
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