Depuis le 15 février, la Maison de l’Amérique latine met à l’honneur l’œuvre de l’artiste chilien Eugenio Tellez (Santiago, 1939) ; une première en France de cette envergure. Seize ans après la grande rétrospective – Le sourire de Saturne – que lui a consacrée le Musée des Beaux-Arts de Santiago (2006), Eugenio Tellez réunit à nouveau un nombre important de peintures, collages, dessins, gravures, et objets, réalisés depuis le milieu des années 2000 jusqu’à aujourd’hui.
Photo : MAL217
Intitulée L’ombre de Saturne, l’exposition parisienne est à lire comme un second volet de l’exposition de Santiago, dans sa continuité naturelle. EugenioTellez s’inspire de la figure de Saturne et des mythes contemporains qui nourissent son imaginaire depuis longtemps.
Les visiteurs pourront découvrir et mesurer le travail d’un artiste de grande ampleur qui depuis plus de cinquante ans fouille sans relâche les strates et interstices de l’histoire contemporaine pour reconstruire les tissus de la mémoire, non sans désillusion. « Dans la création de formes sensibles, tout se joue dans le rapport entre l’espace du corps et le temps de la micro-histoire, dont la surface, imprégnée des vicissitudes dues aux acides, de l’huile, du graphite, de l’acrylique, du goudron, accueille la douleur du regard. Telle a été ma « politique » : retrouver le destin matériel des ombres véhiculées par cette seconde moitié du XXe siècle. La proximité avec la révolution en Amérique latine et les conflits mondiaux qui ont marqué nos vies ont contribué à donner à ma mélancolie actuelle une forme rémanente. L’ange de l’histoire s’installe comme un fantôme et ouvre le sillon d’un champ imaginaire peuplé de ruines et de cadavres. Je peins dans le sillon ouvert par les autres, évoluant entre les continents, portant les traces et les vestiges d’œuvres construites dans la superposition de signes historiques, divers, contradictoires, déformés, laissant place à des images reconnaissables qui s’impriment selon une manière combinée et inégale, articulant collage, dessin, gravure et peinture. » confie Eugenio Tellez.
La Maison de l’Amérique latine rend hommage à un artiste qui a très tôt choisi la capitale française –« Paris et nulle part ailleurs »– pour y parfaire sa formation technique et a choisi de rester y vivre, après de longues périodes de séjours en Amérique du nord et du sud. C’est en effet en 1960, à l’âge de 21 ans, qu’Eugenio Tellez arrive à Paris. Il travaille alors aux côtés du peintre et graveur anglais Stanley W. Hayter, fondateur du célèbre atelier de gravure Atelier 17, fréquenté à l’époque par Alechinsky, Marcel Duchamp, Jacques Herold, Gino Severini, entre autres. En 1962, il deviendra son directeur associé. Cette collaboration aura une grande influence sur le développement de son œuvre qui porte en elle l’empreinte profonde et hautement maîtrisée des techniques de la gravure. Inspiré par l’Atlas Mnémosyne de l’historien d’art allemand Aby Warburg et l’entrechoc visuel et mémoriel que provoque la superposition des images, Eugenio Tellez est un peintre d’histoire au sens large, qui manipule, décrypte et réordonne les forces en mouvement qui nous absorbent. Sur l’« atlas » personnel qu’il se construit, Eugenio Tellez affirme : « il résume de manière souterraine mon rapport à l’histoire, à la littérature, et aux conflits qui m’ont marqués. Mais ce que je pose sur ma table de travail, c’est du matériel de seconde main, des photos prises au hasard, dans lesquelles apparaît la preuve graphique d’une grande catastrophe. »
D’après La Maison de l’Amérique Latine