Alors qu’une enquête est ouverte contre l’ancien président Jair Bolsonaro après les exactions de ses partisans à Brasilia, les soupçons se portent aussi vers le puissant secteur agro-industriel de l’Amazonie, farouchement opposé à l’élection de Lula.
Photo : France
Qui sont les instigateurs des émeutes d’extrême droite du 8 janvier dans la capitale brésilienne, qui ont occasionné de sévères destructions dans les bâtiments des institutions fédérales ? Qui, par exemple, a payé pour affréter des bus depuis les quatre coins du pays vers Brasilia, ce jour-là ? Quelle est la part de responsabilité de l’ancien président Jair Bolsonaro qui, deux jours après les attaques, publiait sur son compte Facebook une vidéo dans laquelle il affirme que « Lula n’a pas été élu par le peuple, mais par le Tribunal électoral et la Cour suprême » ? Enfin, pourquoi la police militaire de Brasilia a-t-elle réagi si tardivement pour rétablir l’ordre et arrêter les émeutiers ? Autant de questions sur lesquelles se penche l’enquête de la police fédérale, qui progresse rapidement.
Au 17 janvier, plus de mille personnes sont toujours en détention. L’ancien président, depuis la Floride où il est arrivé le 30 décembre, a déclaré le 16 janvier devant quelques sympathisants que les événements du 8 janvier étaient « incroyables» et admis quelques « glissades », ou erreurs, pendant son mandat. Sans doute faisait-il ainsi allusion aux attaques verbales répétées qu’il avait lancées contre la Cour suprême fédérale ou le Congrès pendant son mandat, notamment en septembre 2021.
Une agro-industrie vent debout contre Lula
Une “piste amazonienne“ se dessine dans les enquêtes sur les responsables ou appuis des attaques du 8 janvier, que le président Luiz Inácio Lula da Silva a qualifiées de “terroristes “. Lula et son ministre de la Justice ont clairement évoqué une possible implication de membres de l’agro-industrie de la région amazonienne dans ces exactions. Cette piste n’est sans doute pas la seule : les activistes pro-Bolsonaro ont essaimé dans tout le pays, et le Brésil est profondément divisé. Néanmoins, le média engagé Sumaúma[1], créé en septembre 2022 et composé de journalistes aguerris issus des meilleurs journaux du pays, a publié plusieurs articles évoquant les responsabilités des élites de l’agro-industrie en territoire amazonien.
Ces entreprises pratiquent l’extraction légale (ou illégale) de minerai, la déforestation pour laisser place à des cultures intensives de soja, à l’élevage, ou à l’exploitation immodérée du bois, le tout au prix d’une destruction intensive du couvert forestier, d’un brutal éloignement, manu militari, des peuples amérindiens de la région et de l’utilisation de pesticides hautement toxiques. Durant tout le mandat de Jair Bolsonaro, de 2018 à janvier 2023, ce secteur a bénéficié du soutien affirmé du président d’extrême droite, qui a supprimé des dispositifs de protection du territoire amazonien et encouragé les industriels. Dès lors, l’avènement de Luiz Inácio Lula da Silva au pouvoir ne pouvait être qu’une sombre perspective pour les grands propriétaires terriens et exploitants de la région. L’une des toutes premières priorités du président pour son troisième mandat étant de rétablir la protection de l’Amazonie et de ses peuples.
Un contexte explosif depuis des mois
“Sur les sept États brésiliens de la région amazonienne du pays, Bolsonaro a gagné [l’élection présidentielle de 2022] dans quatre d’entre eux, avec parfois 70 % des voix, et dans les trois autres, Lula n’a pas dépassé les 55 % de voix“, écrit Sumaúma. Le journal reprend le fil d’événements violents qui se sont succédés ces derniers mois dans la région, et qui avaient pour but d’empêcher l’élection de Lula, puis de la contester, une fois le président élu en octobre 2022. En décembre dernier, des bolsonaristes ont ainsi bloqué les routes de l’État de Rondonia, pendant près de trente jours, et des échauffourées ont conduit à l’arrestation d’esprits échauffés inféodés à Jair Bolsonaro.
Dans l’État amazonien de Pará, où ont eu lieu les manifestations les plus importantes contre l’élection de Lula, des routes ont également été bloquées mais plus encore, des coups de feu ont été tirés contre les forces de l’ordre par des partisans de Bolsonaro. C’est également dans cet État qu’un homme a été arrêté en possession de fortes sommes d’argent et d’un stock de t-shirts jaunes/verts, marque de fabrique des militants bolsonaristes. Selon le journal, l’enquête montrerait que les militants auraient été financés par des entreprises de la région.
Des responsables politiques échauffés
Le 8 janvier à Brasilia, un ancien candidat au poste de député du même État, William Ferreira da Silva, postait sur les réseaux sociaux des vidéos en direct de l’assaut sur le Congrès, la Cour suprême et le palais du Planalto, siège de la présidence de la République sur la place des Trois Pouvoirs. Il prétend aujourd’hui s’être trouvé là par hasard. Mais il est loin d’être le seul responsable politique de sa région à afficher un indéfectible soutien à Jair Bolsonaro et à sa politique d’exploitation intensive de l’Amazonie.
De leur côté, selon le média O Globo, les militants casseurs du 8 janvier détenus par la police auraient expliqué que leur déplacement en bus était financé par des entreprises de plusieurs États de l’Amazonie brésilienne. L’Amazonie a été livrée pendant quatre ans au démantèlement de terres, à la déforestation et à l’extraction minière, servant ainsi des intérêts multiples, y compris ceux de milliers de petites gens qui travaillent pour ces entreprises. Lula a fort à faire : il doit restaurer l’autorité de l’État fédéral et imposer ce que les urnes, le 30 octobre 2022, ont décidé en lui confiant un troisième mandat. Mais il devra aussi détricoter la haine en montrant le chemin d’un développement susceptible de profiter à tous. La tâche n’est pas aisée, après des années de gabegie et d’impunité.
Sabine GRANDADAM
[1] https://sumauma.com/en/governo-investiga-se-destruidores-da-amazonia-financiaram-tentativa-de-golpe-de-estado/