La fin du mandat du président intérimaire Juan Guaidó, en décembre 2022, entérine les divisions de l’opposition vénézuélienne face au président en exercice, Nicolás Maduro. Celui-ci sort renforcé de cette séquence liée à des différends tactiques entre membres du cartel des partis d’opposition, à des virages politiques dans plusieurs pays de la région et à la guerre en Ukraine.
Photo : Cancino
Trois des quatre partis d’opposition vénézuéliens dits G3 (Primero Justicia, Accion Democratica et Un Nuevo Tiempo) estiment, dans un communiqué commun publié mardi 27 décembre 2022, que le gouvernement intérimaire « n’a plus aucun intérêt aux yeux des citoyens vénézuéliens » . Ils ajoutent qu’il a été le cadre de scandales de corruption qui ont dégradé sa légitimité. Aussi ont-il mis fin, vendredi 30 décembre 2022, à ce « gouvernement intérimaire » de Juan Guaidó , autoproclamé président avec leur soutien en janvier 2019.
Ce gouvernement fantôme sans réel pouvoir, sauf celui de nommer quelques ambassadeurs, avait été mis en place à la suite de l’étrange élection présidentielle de 2018 qui avait maintenu Nicolás Maduro au milieu d’un chaos économique et social sans précédent. Boycotté par l’opposition et non reconnu par une partie de la communauté internationale (60 pays), en particulier les États-Unis et l’Union européenne, le Venezuela a vu sa production pétrolière poursuivre sa chute et ses avoirs à l’étranger séquestrés et mis en partie à disposition du gouvernement de Guaidó. Dans la région, notamment la Colombie, le Chili et le Brésil étaient alignés sur cette position considérant en outre frauduleuses les élections législatives remportées par le pouvoir en 2020.
En 2022, la victoire aux élections présidentielles de candidats de gauche dans trois pays latino-américains voisins ont également contribué à affaiblir l’opposition vénézuélienne. Enfin, la guerre de la Russie en Ukraine, la crise pétrolière qu’elle a engendrée et la recherche tous azimuts d’un pétrole alternatif à celui de la Russie ont érodé encore plus le soutien international à l’opposition vénézuélienne.
Un panorama favorable à Maduro
En période de pénurie, les réserves pétrolières rendent fréquentables les régimes honnis. De fait, les relations du Venezuela avec les États-Unis se dégèlent bien qu’officiellement la position américaine et européenne n’a pas changé. Pourtant, une partie des avoirs vénézuéliens sous sanction ont été débloqués pour action humanitaire au bénéfice du peuple vénézuélien, sous les auspices de l’ONU, suite à la réunion de Mexico entre représentants du gouvernement Maduro et de l’opposition. En outre, le géant pétrolier Chevron a été autorisé par les États-Unis à opérer au Venezuela sous conditions, pendant les six prochains mois.
Dans les faits, Maduro est redevenu un interlocuteur intéressant et la situation géopolitique lui sera favorable en 2023, aux plans diplomatique et économique. Le dialogue repris avec les représentants de l’Union européenne et la nomination récente d’un ambassadeur espagnol à Caracas signent un retour en grâce du pouvoir chaviste sur la scène internationale. La crainte de l’opposition est que cette évolution soit également favorable politiquement au pouvoir en place pour les prochaines élections présidentielles prévues en 2024. La question des avoirs vénézuéliens estimés à 24 milliards de dollars, séquestrés dans des banques américaines et européennes, apparaît centrale et ces milliards font l’objet de convoitises dans l’échiquier politique vénézuélien.
Cette question a animé les opposants à la dissolution du gouvernement intérimaire et à l’éviction de Guaidó. C’est le cas de Leopoldo López, mentor politique du président déchu et déçu. Ils parlent de « suicide », de « capitulation », de « saut dans le vide ». Freddy Guevara, vice-président de l’Assemblée nationale et membre du parti Voluntad popular ajoute : « Je veux que l’or ne tombe pas dans les mains de Maduro à l’avenir. Si demain Maduro sort plus fort, sachez que c’est votre responsabilité » dit-il aux partisans de la fin du gouvernement intérimaire. Les partisans de la dissolution du gouvernement intérimaire rétorquent que « la loi fournit des outils suffisants pour protéger les actifs au Portugal, aux États-Unis et en Angleterre. » Dans cette bataille, une chose semble sûre aux observateurs : le sort du trésor convoité ne se décidera pas à Caracas et la Russie fragilisée par son projet d’extermination de l’Ukraine et d’autodestruction n’est plus un allié aussi solide pour le régime de Maduro.
Un autre élément favorable au pouvoir vénézuélien tient au déblocage des relations avec son voisin colombien. L’élection de Gustavo Petro, historique premier président de gauche en Colombie, a rendu possible la réouverture totale de leur frontière de 2 200 km, intervenue le 1er janvier 2023. Le Venezuela et la Colombie vont pouvoir relancer leurs échanges commerciaux qui s’étaient effondrés ces dernières années. En outre, le Venezuela est un des garants des négociations entre la guérilla ELN et le pouvoir colombien, Gustavo Petro souhaitant étendre l’accord de paix passé avec les FARC en 2016 et en finir avec une guerre civile qui mine le pays depuis plusieurs décennies. On ne doute pas que le Brésil réorientera sa politique après le retour de Lula au Palais du Planalto le 1er janvier 2023.
Il est à craindre que les divisions de l’opposition la discréditeront auprès de la population vénézuélienne, dont 80 % vit sous le seuil de pauvreté, dans un pays où traditionnellement l’abstention est très forte et qui a vu 7 millions de personnes prendre le chemin de l’exil. La reprise des négociations entre pouvoir et opposition risque même de renforcer un sentiment de collusion entre politiciens . Dans un pays où les institutions et la communication sont largement verrouillées depuis plusieurs années, des élections libres et transparentes pour 2024 seront un enjeu de taille.
Maurice NAHORY