C’était quasi inespéré, mais les ministres de près de 200 pays ont réussi à aboutir à un accord mondial sur la biodiversité à la COP15 de Montréal. Dans la nuit de dimanche à lundi 19 décembre, ils ont adopté un nouveau cadre mondial visant à enrayer le déclin de la biodiversité d’ici à 2030. Parmi les objectifs phares, il y a la préservation de 30 % des terres et des mers, une hausse des financements Nord-Sud ou encore la réduction des pesticides.
Photo : COP25 Press
Quel est l’enjeu de la COP15 ?
La COP15 doit déboucher sur un nouveau cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020, dont le but est d’enrayer la perte de biodiversité au niveau mondial d’ici 2030, afin de « vivre en harmonie avec la nature » à l’horizon 2050. Ce cadre doit succéder aux Objectifs d’Aichi adoptés en 2010 au Japon, mais dont pratiquement aucun n’a été rempli. Pour de nombreux observateurs, cette COP est donc aussi importante que la COP21 pour le climat qui avait vu naître l’Accord de Paris. « En sept ans, l’agenda net zéro est méconnaissable et l’élan est clair. Nous avons besoin du même élan pour protéger toute vie sur Terre », explique Laurence Tubiana, présidente de la Fondation européenne pour le climat et l’une des architectes de l’Accord de Paris.
L’objectif phare de 30 % de protection des terres et des mers d’ici 2030 est-il suffisant ?
Cet objectif est en effet relayé par la société civile et soutenu par une coalition de plus de 110 pays dans le cadre de la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples (HAC Nature) que la France copilote avec le Costa Rica et le Royaume-Uni. Mais il est aussi controversé, car il n’existe aujourd’hui pas de consensus sur une définition globale des aires protégées assurant une réelle protection. Celles-ci pourraient aussi constituer une menace pour les peuples autochtones, aujourd’hui garants de 80 % de la biodiversité mondiale. Et quid des 70 % d’espaces restants ? « Il ne faut pas se focaliser sur le seul objectif de 30 % de protection. Je préfère un accord à 25 % de protection avec des éléments structurants adoptés à côté », tranche Sébastien Treyer, le directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
De l’aveu de tous il y a encore quelques jours, un accord semblait peu probable et un accord ambitieux, impossible. Mais la COP15 Biodiversité, qui s’est ouverte à Montréal, au Canada, le 7 décembre, avec deux ans de retard, a fait mentir les pronostics. Présidée par la Chine, et reportée à de multiples reprises pour cause de Covid-19, elle a finalement débouché sur un nouveau cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020, dont le but est d’enrayer la perte de biodiversité au niveau mondial d’ici 2030, après l’échec des Objectifs d’Aichi adoptés en 2010 au Japon, dont pratiquement aucun n’a été rempli. Et cela dans les temps !
Les négociations patinaient encore samedi 17 décembre, lors de la seconde plénière. Mais la présidence chinoise, jusqu’alors critiquée pour son manque d’initiative et de transparence, a pris les devants en présentant un texte de compromis dimanche 18 décembre. Et elle a réussi l’exploit de contenter à peu près tous les camps. Alors que tout le monde avait les yeux tournés sur la finale de la Coupe du monde de football, les négociateurs de près de 200 pays étaient lancés dans un marathon diplomatique. Ils ont ferraillé toute l’après-midi et toute la nuit de dimanche pour parvenir à un accord peu après 3 heures du matin, heure de Montréal, créant la surprise.
L’objectif de 30 % des terres et des mers maintenues
Ce pacte de paix avec la nature appelée Accord de Kunming-Montréal se décline en quatre objectifs et 23 cibles. La plus emblématique d’entre elles, défendue par une coalition de plus de 110 pays dont la France, porte sur la protection de 30 % des terres et des mers, au niveau global, d’ici 2030. L’objectif est bien mondial et non pas national, impliquant que certains en fassent plus que les autres, ou en fassent plus sur terre que sur mer. C’est pour beaucoup d’observateurs l’équivalent pour la biodiversité de l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. À ce jour, seules 17 % des terres et 8 % des mers sont protégées.
Parmi les autres mesures importantes, se trouve la réduction de moitié des risques liés aux pesticides et aux produits chimiques hautement dangereux d’ici 2030. Un long bras de fer a opposé l’Union européenne à des pays comme le Brésil, l’Inde ou l’Indonésie, Bruxelles défendant une réduction en volumes. Les pays doivent également « prévenir, réduire et travailler à l’élimination de la pollution plastique ». En outre, 30 % des écosystèmes terrestres et marins dégradés devront être restaurés et le taux d’introduction des espèces envahissantes devra diminuer de 50 %. Le développement de l’agroécologie est également mentionné, une demande portée notamment par la France. Et les entreprises et les institutions financières sont encouragées – et non pas contraintes – à évaluer et à rendre public l’impact de leurs activités sur la biodiversité.
Enfin, sur la question clé des financements, là aussi les positions ont bougé à l’issue d’un long marchandage entre le Nord et le Sud. Les pays riches s’engagent à fournir 20 milliards de dollars par an d’ici 2025, puis 30 milliards de dollars par an d’ici 2030 aux pays en développement, soit le triple de l’aide internationale actuelle pour la biodiversité. La formulation choisie permet d’intégrer les États-Unis, non signataires de la Convention pour la biodiversité, et ouvre la voie à l’intégration de la Chine ou des États arabes parmi les donateurs. La COP15 approuve aussi la création d’un nouveau fonds dédié à la biodiversité au sein du Fonds mondial pour l’Environnement (FEM) et vise la réduction des subventions néfastes à la nature à hauteur de 500 milliards de dollars par an d’ici 2030.
Un mécanisme pour suivre l’évolution des engagements
« Il y a eu à Montréal un sursaut de la communauté internationale pour se mettre d’accord malgré des positions encore très éloignées il y a quelques jours. Je salue les efforts conjugués de la Chine, du Canada et de l’Union européenne qui a porté d’une seule et même voix un haut degré d’ambition », a déclaré Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. La France regrette toutefois l’absence d’engagement chiffré sur l’augmentation de la surface des espaces naturels d’ici à 2050, des engagements insuffisants sur la protection des espèces, l’absence d’objectif chiffré pour la réduction de l’empreinte écologique ainsi que le respect des limites planétaires.
Concernant le mécanisme de suivi, absent des objectifs d’Aïchi, les États s’engagent cette fois à publier leurs plans biodiversité d’ici la COP16, qui se tiendra en Turquie en 2024. Ceux-ci seront revus régulièrement et un bilan global sera réalisé en 2026, à mi-parcours. « On a beaucoup de points d’étape qui sont prévus (tous les deux ans) dans un format commun, mais on n’aura pas vraiment le temps de demander aux gouvernements de refaire une nouvelle stratégie à 2030. Ce qui est positif toutefois, c’est que ces points d’étape sont mieux organisés et permettent un meilleur suivi de la société civile, qui pourra mettre plus de pression », analyse Sébastien Treyer, directeur général de l’Iddri.
« Cet accord mondial pour la biodiversité ne casse pas la baraque mais vient au moins sauver les meubles. Les pays se sont donné une nouvelle mission qui pourrait changer la donne en apportant à tous un cap clair pour la nature et les peuples. Pour la première fois des problèmes sont pointés du doigt – comme les pollutions des pesticides – et des solutions comme l’agroécologie sont avancées. Il faudra rester très mobilisés pour s’assurer que les pays les mettent en œuvre ! », commente Pierre Cannet, directeur du plaidoyer au WWF France, présent à Montréal.
Concepción ALVAREZ
NOVETHIC