Le 7 décembre dernier, le président du Pérou, Pedro Castillo était destitué pour « incapacité morale permanente » approuvée par 101 des 130 parlementaires, dont 80 dans l’opposition. Trois semaines après, la communauté internationale et notamment latino-américaine exprime leur préoccupation concernant la destitution et l’arrestation de l’ancien président péruvien.
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L’ancien chef de l’État péruvien, instituteur en milieu rural, d’origine modeste et métis, élu par plus de 8 millions de Péruviens contre la droite fujimoriste, avait annoncé vouloir dissoudre le Parlement, établir un « gouvernement d’urgence d’exception » et gouverner par décrets jusqu’aux élections pour réunir un nouveau Parlement disposant des pouvoirs constituants afin de rédiger une nouvelle Constitution. Il avait pris cette décision, étouffé par une opposition qui l’empêchait d’effectuer son travail et lui faisait subir un traitement raciste. En effet, durant un an et demi au pouvoir, le Congrès, la justice et les médias n’ont cessé de se démener pour tenter de le destituer. Battant tous les records d’obstruction, en seulement 16 mois, Castillo a dû subir trois motions de censure, sept destitutions de ministres, et vu le législatif lui supprimer la possibilité d’organiser des référendums et modifier en catimini l’unique article (le 134) qui lui permettait comme président de faire contrepoids à un pouvoir législatif obstructionniste. Ce dernier est parvenu jusqu’à lui interdire l’exercice de représentation institutionnel, lui refusant l’autorisation de se rendre à la prise de mandat du président Gustavo Petro en Colombie.
Il a été arrêté et incarcéré, sans juge ni moyen de défense, alors qu’il se rendait à l’ambassade du Mexique à Lima afin de demander l’asile politique. Dans la foulée la vice-présidente Dina Boluarte, la même qui il y a un an assurait qu’elle démissionnerait si Castillo était destitué, prêtait serment pour diriger le pays. Avocate de soixante ans, elle est la première femme à diriger le Pérou. Le 15 décembre dernier, la Cour suprême a décidé de maintenir l’ancien chef d’État en prison jusqu’en juin 2024, pour « rébellion » et « conspiration » pour ce que ses adversaires ont qualifié de coup d’État manqué.
Depuis, le pays vit une énorme crise politique et sociale. Les nombreuses manifestations populaires pour soutenir l’ex-mandataire Pedro Castillo ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre et ont déjà causé la mort de plus de 21 personnes, essentiellement dans les régions andines où il avait remporté le plus de soutien électoral.
Afin de calmer ces protestations, la présidente Dina Boluarte a demandé l’avancée des élections présidentielles et législatives en avril 2024. La proposition a été approuvée par la Chambre basse, par 93 votes en faveur, 30 contre et une abstention. La disposition approuvée modifie la durée constitutionnelle du mandat de la présidente Dina Boluarte qui prendra fin le 28 juillet 2024 et celui des députés, deux jours avant, le 26 juillet. Cette réforme, approuvée par plus de 87 votes, doit encore être ratifiée par un second vote lors de la prochaine législature ordinaire prévue pour février 2023.
Pour la population des régions, le triomphe de Castillo supposait s’imposer aux élites de Lima qui ont toujours occupé le pouvoir. Sa chute en disgrâce s’interprète comme une perte d’opportunité, aussi les contestataires se refusent à ce que l’instituteur rural soit le seul à payer cette crise en restant incarcéré. Ils exigent aussi que les 130 parlementaires rentrent chez eux et le plus vite possible. Les parlementaires entendent, mais reste à savoir s’ils écoutent.
Quant aux présidents de gauche du Mexique, d’Argentine, de Bolivie et de Colombie, ils ont publié un communiqué exprimant leur préoccupation concernant la destitution et l’arrestation de l’ancien président péruvien Pedro Castillo, appelant les institutions du pays andin à respecter « la volonté de ses citoyens dans les urnes » et leur demandant de « respecter pleinement les droits de l’homme du président Pedro Castillo et de lui garantir une protection judiciaire ». Par ailleurs, faisant naître une crise diplomatique, le Mexique a déclaré, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard, négocier un sauf-conduit pour accueillir la famille de l’ancien président du Pérou, réfugiée à l’ambassade du Mexique à Lima. En outre, Andrés Manuel López Obrador, président du Mexique, considérant que Pedro Castillo a été victime des « élites économiques et politiques » du Pérou, lui a renouvelé son soutien et s’est dit prêt à l’accueillir avec sa famille.
La réaction du Pérou ne s’est pas fait attendre. L’ambassadeur du Mexique a aussitôt été déclaré persona non grata par le ministre péruvien des Affaires étrangères, César Landa qui a laissé soixante-douze heures au diplomate pour quitter le territoire et a considéré la position du Mexique comme « une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures ». Le président du Mexique, tout en considérant cette expulsion « injustifiée et condamnable » a réitéré son soutien à Pedro Castillo, toujours emprisonné, et a refusé de reconnaître l’administration de la nouvelle présidente du Pérou. La famille de Pedro Castillo et l’ambassadeur mexicain ont quitté l’ambassade du Mexique de Lima. Malgré cette crise, le Mexique croit « fermement » au dialogue et assure que sa représentation diplomatique continuera à fonctionner normalement.
Natalia MARTIN