Pendant plus de trois mois, du 26 novembre dernier au 2 avril prochain, le Musée des Beaux-Arts de Rennes se met aux couleurs de Cuba. Une exposition présente des œuvres variées, teintées d’ironie et souvent fortement accusatrices, afin de mettre en avant les douleurs mais aussi la richesse culturelle d’une île marquée par les croyances afro-cubaines, l’esclavage, la misère et les excès du régime castriste. Des figures historiques et littéraires importantes des XIXeet XXe siècles sont également représentés.
Photo : Musée des Beaux-Arts de Rennes
Cette exposition, dans laquelle on découvre des œuvres éphémères réalisées in situ par Néstor Arenas (fresque), José Franco (installation) et José Bedia (deux fresques), offre au visiteur 130 des 400 œuvres possédées par le collectionneur rennais François Vallée. Les nombreux artistes exposés, qu’ils soient exilés ou insilés, utilisent des supports divers (photographie, vidéo, fresque, installations, etc.) et des matériaux variés (pensons, par exemple, aux peintures sur verre et à l’utilisation de papier aluminium dans les créations d’Alberto Casado) ; ils portent un regard précis sur la culture et l’histoire cubaines, à travers l’usage d’une ironie et la présence d’un désenchantement affleurant dans des œuvres parfois iconoclastes.
Ainsi, si certaines œuvres réalisées dans les années soixante sont empreintes d’espoir vis-à-vis du nouveau régime, au fil des années la critique devient acerbe face aux abus du régime castriste. Pensons par exemple aux tableaux de Carlos Rodríguez Cárdenas, Filosofía de los mojones (1988), réduisant la réalité cubaine à une succession d’étrons, au portrait ironique de Fidel Castro dans le tableau Houdini Terror Island (2013) de Bernardo Navarro Tomás ou encore à la photographie d’Alain Pino représentant une femme avec une barbe en mousse à raser, qui rappelle les « Barbudos » et dénonce implicitement les promesses frustrées de la révolution. La dénonciation est également très forte dans la photographie Paisaje de Angola (1996) sur laquelle Ezequiel O. Suárez ajoute une croix au cliché originel de Carlos Garaicoa, rendant ainsi hommage aux nombreux Cubains morts lors de leur participation aux opérations en Afrique entre les années 70 et le début des années 90.
L’exaltation de figures littéraires et héroïques, comme Che Guevara, est également à mentionner : Alberto Díaz Gutiérrez, en 1960, réalise le célèbre portrait du révolutionnaire, Guerrillero heroico; retrato de Che Guevara, présenté ici dans sa version originelle non recadrée. Un hommage est également rendu au poète et père de la patrie, José Martí, dans le tableau Martí (1967), peint par Publio Amable Raúl Martínez González qui applique dans son travail les techniques du pop art et présente Martí comme une icône moderne. Quant à l’artiste Hamlet Lavastida, il représente pour sa part le romancier néo-baroque Severo Sarduy dans l’œuvre éponyme de 2018 réalisée à partir d’un découpage.
Les artistes n’oublient pas la diversité culturelle de l’île et nombreux sont ceux qui intègrent dans leurs créations les croyances afro-cubaines et les religions amérindiennes comme celle des Taïnos, tels Juan Andrés Rodríguez Paz ou Elsa Mora. Les techniques et courants divers, tout comme les messages fortement politiques de nombre d’œuvres font de cette exposition un riche éventail de la foisonnante créativité de l’art cubain de la seconde moitié du XXe siècle à nos jours.
Benoît SANTINI