Le 5 et 6 décembre dernier, se déroulait à Montevideo le sommet annuel du Mercosur, une manière pour ses Etats-membres de faire le point sur les avancées au sein du groupe régional mais aussi d’établir certaines perspectives pour son futur.
Photo : La Diaria
L’année passée, cette même réunion avait déjà connu quelques remous lorsque le président uruguayen Luis Alberto Lacalle Pou avait qualifié le Mercosur de potentiel fardeau pour son pays. Pour cette édition, tous les regards étaient de nouveau dirigés vers la présidence uruguayenne qui prit la décision de faire cavalier seul en négociant un accord commercial avec la Chine. Car, selon les règles établies par l’organisation, à l’instar de l’Union Européenne par exemple, les accords de libre-échange doivent être négociés en groupe. L’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay ne sont pas autorisés à signer seuls des traités commerciaux en dehors du Mercosur. Or, depuis quelques mois, l’Uruguay s’était rapproché de la Chine pour faire avancer certains accords, dont un traité de libre-échange et l’entrée dans le CPTPP, l’Accord global et progressif de partenariat transpacifique.
La 61e réunion du Mercosur entendait donc remettre l’église au milieu du village et rappeler à l’ordre l’élève turbulent uruguayen qui implore, depuis de nombreuses années, de s’ouvrir aux échanges commerciaux globaux. En effet, l’Uruguay se sent à l’étroit au sein du Mercosur. Ce petit pays a un marché intérieur limité et son orientation économique libérale appelle à une augmentation des exportations internationales. Au contraire des plus grandes économies du groupe, comme la brésilienne ou l’argentine qui peuvent se permettre plus facilement des mesures protectionnistes.
Bien que le Ministre des affaires étrangères uruguayen, Francisco Bustillo, assure qu' »il n’y a pas eu et il n’y aura pas d’action qui permettrait de déduire que l’Uruguay encourage la fin du Mercosur », il a néanmoins critiqué l’immobilisme du groupe régional. Et les chiffres sont éloquents : depuis 2010, l’Organisation Mondiale du Commerce a enregistré 172 accords de libre-échange dans le monde. Aucun d’entre eux ne concerne le Mercosur.
Quant au traité avec l’Union Européenne, dont les négociations conclurent en 2019, sensé donné un coup de fouet aux exportations du groupe, il peine encore à convaincre les gouvernements européens. Cet accord sera la priorité de la présidence du Parlasur, le Parlement du Mercosur, qui entend travailler main dans la main sur cette question avec le parlement européen. Cependant, le président argentin, Alberto Fernandez, s’est montré un peu défaitiste lors de son allocution. Aux nombreux pays européens qui demandent plus de garantie sur la préservation de la forêt amazonienne, le président argentin leur répond d’arrêter d’inventer des excuses pour retarder l’entrée en vigueur du traité : « Nous pouvons continuer à blâmer le fait que nous ne traitons pas bien l’Amazonie. La vérité est qu’en Europe, il y a des pays protectionnistes qui ne veulent pas que notre viande, nos céréales et nos aliments entrent ».
Une zone de libre-échange imparfaite
Apres 31 ans d’union, la discorde plane donc sur le Mercosur, fortement critiqué par les uruguayens. Pour le ministre Bustillo, il est l’heure de réformer le groupe régional pour ne pas le condamner à l’échec. Selon lui, pour le moment, le Mercosur a « un tarif extérieur commun qui n’a absolument rien de commun. En tant que tel, il n’existe pas de tarif extérieur commun. Tout comme il n’y a pas d’union douanière, parce que nous n’avons jamais vraiment voulu en former une. En bref, nous sommes ce que nous avons voulu être : une zone de libre-échange imparfaite ».
Imparfaite et regardant dans des directions opposées, aussi bien d’un point de vue géographique qu’idéologique. Là où l’Uruguay entend s’associer avec la Chine, avec l’UE, avec les Etats-Unis, la présidence argentine souhaite plus d’intégration au sein du continent latino-américain. Le prochain accord dans les tiroirs serait par exemple un accord d’association avec les pays d’Amérique centrale.
Sur le plan idéologique, Lacalle Pou rêve d’un Mercosur ouvert sur le monde, qui se bat à armes égales dans l’arène du commerce globalisé. Pour le président argentin, le monde actuel ne répond plus aux principes basiques du libre-échange, avec des économies se repliant sur elles-mêmes, comme conséquences de la guerre en Ukraine. Pour Fernandez, le Mercosur doit privilégier les échanges intra-bloc, régler les problèmes d’asymétrie interne et se placer comme leader régional en Amérique latine. Le pays entend également travailler avec le Brésil à la création d’une banque centrale commune. Un projet que Lacalle Pou balaya d’un revers de main, affirmant que « l’on ne peut pas vouloir courir si l’on ne sait pas marcher ».
Une potentielle sortie de crise se trouverait en territoires brésiliens. Après une présidence Bolsonaro décevante en termes d’intégration régionale, l’arrivée prochaine au pouvoir de Lula pourrait changer la donne. En effet, celui-ci a promis de revitaliser le bloc et de maintenir un commerce « intelligent » avec les autres acteurs. Il inspire également confiance aux partenaires européens pour respecter les ambitions climatiques et environnementales du Brésil. Cependant, l’arrivée de Lula risque de ne pas être suffisante. En effet, lors de la première décennie « dorée » du XXIe siècle, tous les pays du Mercosur étaient dirigés par des figures de gauche, dont Lula, appelant a plus d’intégration régionale et peu d’avancées concrètes avaient été développé. Il semblerait que l’Uruguay soit condamné à continuer de jouer les fauteurs de trouble pour déjouer l’immobilisme du Mercosur.
Romain DROOG