Les alternatives au pétrole et au gaz russes sont recherchées par les Occidentaux partout où ces ressources existent. Il est naturel que le Venezuela, grand détenteur de réserves pétrolières, revienne sur le devant de la scène. Chacun des grands acteurs internationaux a ses objectifs géopolitiques et son agenda politique. Le Venezuela retrouve des marges de négociation mais la concorde aura-t-elle été au rendez-vous pour le pays ?
Photo : Palais Miraflores
Depuis 2014, le Venezuela connaît une récession économique sans précédent qui a poussé 7 millions de Vénézuéliens à quitter leur pays, un record en temps de paix. La réélection contestée de Nicolás Maduro en 2018, sans participation des oppositions, avait conduit les États-Unis et les pays européens à ne pas reconnaître légitime le président vénézuélien et à adopter d’importantes sanctions économiques contre le pays de moins en moins pétrolier. « L’idée de retirer le Venezuela du circuit économique mondial était une mauvaise idée, une idée extrémiste de Donald Trump, et ils en paient le prix parce que le Venezuela fait partie de l’équation énergétique mondiale », a déclaré le président Maduro le 30 novembre dernier.
On ne peut pas souscrire à l’emphase de Nicolas Maduro quand il ajoute « nous sommes une grande puissance pétrolière et nous allons être une puissance gazière ». Pour donner une idée de la place actuelle de Caracas dans le « concert pétrolier », il faut rappeler que le « Venezuela Saoudite » de jadis, gros producteur, n’a extrait que 755 000 barils/jour en janvier, selon l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). « La production avait même chuté il y a quelques mois à 400 000 b/j, son plus bas niveau depuis les années 1940 »1, soit près de dix fois moins qu’en période florissante.
Pour comprendre les accents triomphalistes de Maduro, désigné par Chavez comme son successeur avant sa mort en mars 2013, la chronologie des dernières années est éclairante. Les liens diplomatiques avec les Etats-Unis sont rompus depuis 2018. Juan Gaido est reconnu comme président alternatif par près de 60 pays. Pourtant, la situation politique et économique vénézuélienne est restée dans les marécages et, malgré tout, l’opposition ne s’en n’est pas trouvée renforcée.
Un retournement stratégique envisagé
À la surprise de tous, en février 2022, aux premiers jours suivant le déclenchement de « l’opération militaire spéciale » de la Russie en Europe, une délégation américaine de haut niveau se rendait à Caracas dans le double but de rouvrir le marché américain au pétrole vénézuélien (interdit depuis 2019) et de bloquer sa vente à l’allié russe en vue de l’affaiblir. Les Etats-Unis et l’Europe qui ont également gelé des avoirs en dollars détenus dans leurs banques par la compagnie pétrolière publique PdVSA connaissent la revendication principale du gouvernement vénézuélien : lever les sanctions économiques.
La réponse américaine à cette revendication sera indirecte et soumise à une reprise du dialogue entre le gouvernement Maduro et l’opposition vénézuélienne soutenue avec de moins en moins de vigueur. L’ordre du jour du dialogue convenu n’est pas le même pour tous mais le dialogue inter vénézuélien aura lieu à Mexico malgré tout car les États-Unis ne manquent pas de moyens de pression sur les parties prenantes. Le 26 novembre dernier, les négociations entre le gouvernement vénézuélien et la plateforme unitaire d’opposition reprennent donc à Mexico sous l’égide de la Norvège, pays facilitateur. Maduro est représenté par le président de l’Assemblée nationale, Jorge Rodriguez et les oppositions par l’avocat Gerardo Blyde, ex-député.
Qu’en retenir à ce stade ? La situation économique et sociale vénézuélienne est enfin reconnue pour ce qu’elle est : une catastrophe humanitaire avec 80 % de la population en situation de pauvreté. Il faut rappeler que Maduro, jusque-là, ne voyait qu’un « show » dans l’exode de 7 millions de Vénézuéliens. L’aide centrée sur les besoins essentiels de la population fait consensus et c’est la moindre des choses. Cependant, la concordance des vues sur le redressement politique et économique n’est pas au rendez-vous. Pour preuve : il n’y pas de communiqué commun du gouvernement Maduro et de l’opposition. Chacun garde son agenda et ses priorités, les Etats-Unis ayant aussi les siens avec des atouts maîtres.
Le premier pas sur l’accord de Mexico porte sur « la protection sociale » du peuple vénézuélien sous l’égide de l’ONU. En effet, un fonds international sera alimenté par trois milliards de dollars d’avoirs vénézuéliens « séquestrés » dans les banques américaines et étrangères. Il ne s’agit que d’une partie du trésor, évalué par le gouvernement vénézuélien à plus de 20 milliards.
En outre, le gouvernement Maduro entrevoit des perspectives d’amélioration de l’exploitation et de la distribution de son pétrole : Chevron, géant de l’énergie, a été autorisé par le gouvernement américain à relancer ses activités dans les quatre entreprises qu’elle détient avec le géant public vénézuélien Petroleos de Venezuela (PdVSA) mais l’entreprise américaine veillera à ce que PdVSA n’en tire pas bénéfice. Les négociations devraient se poursuivre dans un avenir proche. Maduro y a intérêt pour relancer les investissements étrangers dans les infrastructures pétrolières en mauvais état et pour réanimer les systèmes vitaux en souffrance (eau, électricité, hôpitaux, écoles). Cela pourrait donner de l’oxygène au pouvoir en place en vue des prochaines échéances présidentielles de 2024. Pour l’opposition, jouet de la situation géopolitique et de la réalpolitique occidentale, les résultats paraissent maigres. Dans un communiqué séparé, elle continue de réclamer pour la présidentielle de 2024 que l’élection soit « libre, juste, démocratique et observable ». Libre ? Maduro entend seulement « libre de sanctions économiques ».
Dans sa volonté de trouver en urgence des substituts au pétrole russe, les États-Unis et l’Europe sont capables de contorsions et de bifurcations face à un Maduro devenu fréquentable sinon aimable. Cependant, ce dernier aurait tort de croire qu’il est devenu “le roi du pétrole”. Privé de l’arme incantatoire contre l’empire américain tapi derrière le moindre opposant, comment expliquer au peuple vénézuélien que l’effondrement de la production pétrolière est dû aux seules sanctions ? La plupart des experts s’accordent à dire que la chute est antérieure aux sanctions et qu’elle est la conséquence d’années de mauvaise gestion et de corruption au sein du géant pétrolier d’État Petroleos de Venezuela (PdVSA). « Cette année, nous allons produire deux millions de barils/jour qu’il pleuve ou qu’il vente », a promis Maduro, le mercredi 30 novembre. Mais Carlos Mendoza Potella, économiste pétrolier, « estime qu’il faudrait « quatre ou cinq ans » pour atteindre cet objectif »2. Désillusions en vue pour toutes les parties nationales et internationales mais avant tout pour le peule vénézuélien indifférent, distant et méfiant à l’endroit de tous les partis politiques.
Maurice NAHORY
1 AFP, 11 mars 2022, repris par Connaissance des énergies.org
2 Cité par Connaissance des énergies, magasine de l’Institut Français du Pétrole