Fernando Sabag Montiel l’assaillant et sa compagne Brenda Uliarte, inculpés comme co-auteurs d’une tentative d’attentat préméditée contre la vice-présidente Cristina Kirchner. Suites.
Photo : La Nación
« Un attentat contre un haut personnage de l’Etat », c’est ainsi qu’est défini officiellement l’évènement survenu la nuit du jeudi 1er septembre, devant la résidence de la vice-présidente Cristina Fernandez Kirchner, dans le riche quartier de Recoleta à Buenos Aires. Alors qu’elle se mêlait à la foule venue la soutenir chaque jour devant chez elle, depuis l’annonce de sa condamnation pour corruption, un homme pointa un pistolet à un mètre environ de la tête de la vice-présidente. Pour une raison non certifiée, le coup n’est pas parti. L’arme – un pistolet semi-automatique Bersa calibre 7.65 – était pourtant chargée de cinq balles et en état de marche, mais sans balle engagée dans la chambre, selon des sources judiciaires. Un des témoins de l’attaque assure avoir entendu l’agresseur appuyer deux fois sur la gâchette. L’assaillant, Fernando Sabag Montiel, 35 ans, avait été maîtrisé et arrêté sur place et son amie Brenda Uliarte, 23 ans, arrêtée trois jours plus tard. Sa présence sur les lieux de l’attentat le soir-même avait été avérée par des images de vidéo-surveillance, alors qu’elle avait assuré n’avoir pas revu son ami depuis deux jours.
Dans sa résolution, la juge Maria Capuchetti considère les deux inculpés « co-auteurs ». Ils ont été tous deux formellement inculpés jeudi 15 septembre de tentative d’homicide aggravé avec préméditation et placés sous détention provisoire. La juge devra statuer ultérieurement sur le sort de deux connaissances du couple arrêtées cette semaine : Agustina Diaz, 21 ans, d’un degré de complicité avéré selon la juge, et Nicolas Gabriel Carrizo, 27 ans, qui apparait comme le leader du groupe. Ils sont toujours en détention provisoire.
L’enquête, s’appuyant en grande partie sur l’analyse des comptes de réseaux sociaux, ordinateurs et téléphones des suspects, avait établi une « planification et entente préalable ». En particulier, la présence chaque soir de nombreux partisans de Mme Kirchner près de chez elle « a été étudiée en détail par les deux (inculpés) pour choisir le bon moment pour l’attaque, afin d’atteindre leur objectif », selon la juge. Les motivations des deux principaux suspects, au profil précaire, sans emploi formel récent, n’ont pas été clairement établies. Fernando Sabag Montiel avait un temps été chauffeur pour des applications – mais n’avait plus d’argent pour faire réparer sa voiture – et Brenda Uliarte vendait de la barbe à papa dans les rues.
Une politisation active n’a pas non plus été avérée à ce stade les concernant, même si Fernando Sabag Montiel portait des tatouages – un soleil noir et une croix de fer – liés à une symbolique néo-nazie, et même si certains messages ont montré une affinité de Brenda Uliarte pour le politicien libéral-libertaire Javier Milei, et une hostilité manifeste à l’égard de Cristina Kirchner et du gouvernement. « J’ai envoyé (quelqu’un) tuer Cristina », disait-elle dans un des messages. La tentative d’attentat a donné lieu le lendemain à la déclaration par le président Alberto Fernandez, d’un jour férié national, à de nombreuses manifestations rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes dans plusieurs villes d’Argentine, et à une vague de condamnations internationales.
Jeudi 15 septembre, Cristina Kirchner s’est exprimée pour la première fois en public depuis l’incident, disant son émotion d’être « en vie, grâce à Dieu et à la Vierge », et évoquant le soutien du pape François, qui l’avait appelée quelques heures après l’attaque. « Je sens que je suis en vie, grâce à Dieu et à la Vierge, vraiment », a-t-elle déclaré, la voix brisée, en recevant au Sénat – qu’elle préside – des prêtres et religieuses œuvrant auprès des pauvres et dans les « villas miserias », les bidonvilles.
Natalia MARTIN
Analyse de la situation, par Véronica Smink,
correspondante de BBC Monde à Buenos Aires
L’Argentine a traversé de nombreuses crises économiques depuis le retour à la démocratie en 1983, mais la violence politique n’avait pas refait surface, jusqu’à présent. Le 22 août dernier, dans le cadre d’un jugement pour corruption, un procureur argentin, Diego Luciani, a condamné la vice-présidente à 12 ans de prison et à l’inéligibilité à vie pour des actes de corruption liés à des travaux publics, l’affaire dite « Vialidad ».
Depuis lors, ses partisans qui affirment que Kirchner est persécutée politiquement, se réunissent toutes les nuits dans les alentours de sa résidence à Recoleta en guise de soutien. Recoleta est un des quartiers les plus aisés de Buenos Aires et également l’un des plus antipéronistes et anti kirchneristes. Les manifestations devant la résidence de Kirchner ont exacerbé la déjà existante crispation entre les partisans du kirchnerisme et ceux qui s’opposent au mouvement.
L’Argentine connait depuis vingt ans ce qui est localement nommé – « la grieta » – la fissure : une opposition très forte entre les partisans du kirchnerisme et ceux du centre-droit, en particulier les sympathisants de Mauricio Macri, l’exprésident qui succéda à Cristina Fernandez de Kirchner en 2015. S’il avait réussi, l’attentat contre Cristina Kirchner aurait donné lieu à la pire tragédie politique survenue en Argentine dans les dernières décennies et aurait pu déclencher de graves affrontements dans les rues.
Traduit par Natalia Martin