Le 3 avril dernier, le Costa Rica élisait Rodrigo Chaves comme nouveau président de la République centroaméricaine. Lors d’un scrutin serré, marqué par une flambée de l’abstention, une majorité de votants ticos ont placé leur confiance dans le candidat cochant presque toutes les cases de l’outsider politique.
Photo : La Nación
Rodrigo Chaves Robles deviendra en mai prochain le nouveau président du Costa Rica. Totalement inconnu du grand public il y a encore quelques mois, Chaves remporta le second tour de l’élection présidentielle avec 52 % des voix, face à José Maria Figueres, ancien président du pays dans les années 90. En sacrant le candidat outsider, mais surtout avec un taux d’abstention historique de 42 %, la population costaricienne montre sa défiance envers le système politique actuel, dans une des démocraties les plus consolidés d’Amérique latine.
La Suisse de l’Amérique latine
Souvent surnommé ainsi pour sa longue tradition démocratique, son absence d’armée, la préservation de sa nature, sa couverture sanitaire universelle et ses bons résultats économiques, les performances du Costa Rica patinent depuis une grosse décennie. Une stagnation accélérée par la pandémie de COVID-19 qui coupera net l’entrée de la plus grande source de revenus national, le tourisme. Dans ce contexte, le pays exsangue dut avoir recours à un prêt du FMI de 1778 millions de dollars, qui rime avec mesures d’austérité et hausse des impôts.
D’un point de vue social, la situation est aussi préoccupante. Le coefficient de Gini du pays, qui mesure les inégalités salariales, stagne. À l’heure actuelle, 23 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage s’élève à 15 %, alors qu’il culminait à 5 % au début du siècle. Les conséquences de la pandémie ont été aussi désastreuses pour les enfants, avec des écoles fermées pendant de long mois, véritable blackout éducatif selon les analystes.
Pour couronner le tout, l’image immaculée de la démocratie costaricienne s’est vue entachée par plusieurs importants scandales de corruption, notamment un système de pot-de-vin dans le milieu de la construction et des affaires de détournement de marchés publics, qui entraineront la démission du maire de San José, la capitale du pays. L’autre candidat du second tour, José Maria Figueres, était lui-même soupçonné de conflit d’intérêt, après avoir été consultant pour une entreprise française de télécommunications.
Comerse la bronca
C’est dans ce contexte crispé, qu’est apparu la figure politique de Chaves. Encore inconnu il y a quelques mois, il avait fait son apparition sur la scène politique en devenant le ministre des Finances du président sortant, Carlos Alvarado, pour à peine six mois. Soutenu par l’ancienne journaliste Pilar Cisneros, très critique de la classe politique du Costa Rica, il mena une campagne dégagiste et promit de “comerse la bronca” (manger la colère), une expression viriliste locale qui signifie prendre à bras le corps les problèmes. Il fit de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, annonçant un plan qui récompenserait financièrement ceux qui dénoncent ces actes et pénaliserait ceux qui ne le font pas.
Avec un doctorat en économie et une carrière longue de trente ans à la Banque mondiale, il est perçu comme un fin connaisseur des matières économiques, avec une obédience nettement libérale. Mais ce parcours professionnel à la Banque mondiale est aussi son principal point faible. En effet, en poste en Indonésie, il fut accusé d’agression sexuel par de nombreuses collègues et fut démis de ses fonctions quelques mois avant d’accepter le poste ministériel dans le cabinet d’Alvarado. Chaves réfutera ses accusations en déclarant qu’il s’agissait d’une “mauvaise interprétation de la culture latino”.
Make Costa Rica happy again
Des accusations d’agression sexuelle qui nous rappellent les frasques d’un ancien président, au nord du Rio Grande. Une réputation qui n’est pas le seul point de ressemblance avec Donald Trump. Bien qu’économiquement libéral, Chaves est lui aussi particulièrement conservateur sur les questions sociétales. Ouvertement catholique, il s’oppose à l’euthanasie et au droit à l’avortement.
Tout comme Trump, sa base électorale est composée en majorité d’hommes et de personnes issues des milieux ruraux, désabusés du “miracle costaricien”. Il entend réformer la classe politique et est en opposition avec les principaux médias du pays. Longtemps connu comme le pays du bonheur, une de ses promesses de campagne est de “refaire du Costa Rica le pays le plus heureux du monde”.
La victoire de Chaves au Costa Rica montre le désamour des sociétés latinoaméricaines avec leurs systèmes et partis politiques, même dans des pays considérés comme “modèle” dans la région. La dernière publication du Latinobarometro montrait que seulement 13 % des latino-américains interrogés avaient confiance dans les partis politiques de leur pays. C’est sur ces braises qu’est venu souffler Chaves. Mais 71 % de l’électorat costaricien a voté pour son rival ou s’est abstenu. Ce faible soutien se traduit également au Parlement où son parti ne détient que 10 des 57 sièges. Une configuration politique compliquée, couplée à des finances publiques sous perfusion, qui lui compliqueront la tâche de tenir ses promesses électorales. Ce qui ne fera qu’accentuer l’éloignement des Costariciens de leur système politique.
Romain DROOG