Après la trilogie « Santiago Quiñones », Boris Quercia change d’univers et nous projette dans un futur digne d’un Philip K. Dick, gangréné par la marchandisation du vivant et la dépendance aux machines. Il est l’un des premiers auteurs invités à nos Belles Latinas en octobre 2022. Il est aussi attendu à Lyon, en deux temps, aux festivals Quais du Polar du 1er au 3 avril et à Intergalactiques du 24 au 25 avril 2022.
Photo : Asphalte
Né en 1967 à Santiago, Boris Quercia se fait connaître au théâtre, comme acteur et directeur de troupe, puis au cinéma, comme réalisateur et acteur. En 2010, il crée le personnage de Santiago Quiñones, un policier qui intervient dans les romans suivants. Avec Les rêves qui nous restent il change complètement d’univers. Dans un avenir peut-être pas très lointain, la vie en général est assez grise, assez désespérée pour que les autorités de la City créent « Rêves Différents », un organisme officiel qui, en permettant à chaque patient de rêver une existence qui lui corresponde, ou plutôt en lui imposant une existence de rêve, lui permet de soigner son mal de vivre. Des gens vivent dans la City, mais on ne les voit pas, tant la société est cloisonnée. Derrière des silhouettes qui avancent mécaniquement s’étale une affiche : « Un monde meilleur n’est pas nécessairement un monde plus humain ».
Natalio, qui a été rétrogradé à la suite d’un événement qu’il n’y a pas lieu de rappeler, est une sorte d’enquêteur bas de gamme aidé par un assistant, un « électro quant » à forme humaine. Son « électro quant » lui aussi est bas de gamme, acheté d’occasion, mais si dévoué qu’il en devient touchant, modeste, toujours en retrait. L’enquête dont on charge Natalio concerne précisément « Rêves Différents » : un échange de personnes semble avoir pu être réalisé, situation dangereuse qui préoccupe au plus haut point Olivia, dont, soit dit entre parenthèses, le processus de rajeunissement a eu des ratés, la cheffe de Natalio. Les drames personnels qu’a connus Natalio ne comptent guère face au verrouillage de la City où tout est organisé pour maintenir un certain ordre menacé par des syndicalistes dont le but n’est pas de faire s’effondrer l’État, mais de survivre quand il se sera effondré.
L’enquête progresse, mais c’est plutôt l’ambiance générale dans ce pays qui semble bloqué sur lui-même que décrit Boris Quercia, avec, ce qu’on présume, quelque part, au-delà de l’Océan Pacifique, des gens qui vont et viennent, se nourrissent de légumes et de fruits frais et dont les enfants jouent avec des lapins, des vrais, bien vivants. C’est aussi la relation qui se tisse entre Natalio et son « électro quant », de plus en plus amicale, bien qu’ils sachent l’un et l’autre que tout n’est qu’illusion, que rôde l’ombre de la mort qui peut toucher aussi bien (aussi mal ?) l’être fait de chair que l’être de métal et de fils électriques.
Boris Quercia, dans un récit haletant et sensible, réussit un petit miracle : faire renaître un souffle puissant d’humanité dans un décor où il a été décidé que toute forme de sensibilité était exclue. Après la trilogie policière qui avait Santiago Quiñones pour héros, ce virage dans la création littéraire de Boris Quercia est tout à fait réussi. Espérons qu’il ne s’arrêtera pas en si bon chemin.
Christian ROINAT
America Nostra
Les rêves qui nous restent, roman de Boris Quercia, traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi et Gilles Marie, éd. Asphalte, 105 p, 20 €. Le roman n’est pas encore publié dans sa version espagnole. Las calles de Santiago et Perro muerto sont édités en Espagne par Alrevés, Barcelone. Boris Quercia en français : Les rues de Santiago / La légende de Santiago / Tant de chiens, éd. Asphalte.