Le couvent des Récollets, Paris. Rosa María Unda Souki fait face à une angoisse de la page blance : ce qui en sortira sera un roman illustré intitulé Ce que Frida m’a donné. Il s’agit d’un livre à la nature ambigüe car il mélange, non seulement, mots et couleurs, mais aussi vie réelle et art poétique. L’autrice fait du récit de la vie de Frida Kahlo un miroir pour voir la sienne, et les dessins qui l’accompagnent lui servent d’autoportrait oblique et fragmentaire. Ce que Frida m’a donné est en réalité une oeuvre d’art pure en ce qu’elle s’inspire de la source originelle pour toute belle création : la muse.
Rosa María Unda Souki est une peintre renommée qui a exposé un peu partout dans le monde. Une importante exposition va lui être consacrée à Paris, autour d’une cinquantaine de tableaux inspirés par la vie et l’ouvre de Frida Kahlo. Elle doit en rédiger le catalogue et peine à commencer. Hébergée dans le couvent des Récollets, près de la gare de l’Est, et dans l’attente des tableaux en provenance du Brésil, l’inspiration ne venant toujours pas, elle couche sur le papier une sorte de journal de son installation dans sa résidence d’artiste, qu’elle illustre de façon aussi précise que poétique. Reproductions de ses propres tableaux (qui feront partie de l’exposition prochaine), dessins de sa chambre aux Récollets, de sa table de travail ou des vêtements qu’elle va mettre, l’humour est aussi au rendez-vous.
Sa pensée se projette vers l’avant, avec la retenue propre aux textes à caractère officiel. Elle évite de s’épancher mais cède quelquefois, lorsque l’artiste se remémore son enfance au Venezuela et au Brésil. Ce qui, d’ailleurs, lui fait prendre conscience de façon troublante des point communs avec sa muse. Frida Kahlo se manifeste avec discrétion, dans la couleur d’une robe, dans une attitude, dans un détail qu’elles partagent et que Rosa María est la seule à deviner. Et la voilà bien présente cette muse qui émerveille la jeune femme et lui redonne du courage pour aller de l’avant.
Au-delà d’une simple biographie, l’œuvre de Rosa María est remplie de détails pas toujours très utiles pour connaître la Mexicaine ; cette évocation est un hommage subtil, sensible, à sa muse bien réelle mais inatteignable, incarnant son semblable tout en étant une parfaite inconnue. C’est une personne qui sait garder une part de mystère pour se dévoiler autrement. De qui parle ce livre, cette œuvre d’art ? De Rosa María ? De Frida Kahlo ? Des deux, évidemment, et la plus exposée n’est pas toujours celle qu’on croit. C’est beaucoup Frida quand on a Rosa María devant les yeux, c’est un peu Rosa María quand on devine Frida.
Parfois nous nous évadons à l’aide d’une touche de surréalisme délirant, mais nous sommes aussitôt ramenés à la réalité par la présence de l’actualité dramatique, celle qui parle de la crise politique et sociale qui touche le Venezuela encore et toujours. Finalement, nous sommes témoins des soupirs nostalgiques du regret d’un Venezuela qui a perdu sa culture. Ce « roman » qui sert d’espace de vie à la peinture forme un tout d’une richesse étonnante.
J’ignore si, comme on le dit, l’Art est immortel ; mais ce livre, texte et illustrations, véritable merveille littéraire et picturale, prouve que la transmission de l’intelligence et de l’imagination qui s’effectue entre ces deux femmes, est un moyen de prolonger, de pérenniser une création, l’acte de poesis.
Christian ROINAT