« J’ai trois alternatives pour mon avenir : être emprisonné, être mort ou victorieux » avait déclaré le dirigeant d’extrême droite en août dernier. Des trois alternatives, la moins probable est certainement la dernière. À neuf mois de la prochaine élection présidentielle, l’ancien militaire parachutiste est à la traîne dans les sondages, alors que tout le monde attend l’annonce de la candidature du mieux placé pour remporter le scrutin : Luis Ignacio « Lula » da Silva.
Photo : Vega
Après trois ans à la tête de son pays, l’ancien militaire nostalgique de la dictature de 1964-1985 se trouve dans une situation pour le moins délicate. Élu au second tour en octobre 2018, avec un peu plus de 55 % de suffrages, la côte de popularité de celui qui avait promis de « changer le Brésil » est tombée à 22 %. Mais malgré l’érosion de sa popularité, notamment à cause de sa gestion calamiteuse de la pandémie, Jair Bolsonaro reste certes une figure forte dans le panorama politique brésilien. Rien n’est donc joué en vue à la présidentielle d’octobre prochain, mais il est actuellement impliqué dans divers faits fâcheux qui menacent sa réélection.
D’abord la gestion de la pandémie. Avec 620 000 morts, le Brésil est le deuxième pays le plus frappé de la planète après les États-unis. Selon une enquête menée par une commission parlementaire, qui l’accuse de « crime contre l’humanité », Bolsonaro aurait « délibérément exposé » ses compatriotes à une « contamination de masse » en raison de ses discours anti-confinement et ses doutes sur l’efficacité de la vaccination. Et pour preuve : « Je ne vaccinerait pas ma fille de 11 ans », a déclaré récemment le président d’extrême droite, qui a contracté le virus en juillet dernier. Par ailleurs, son statut vaccinal reste un mystère.
Le rapport de la commission du parlement brésilien pointe aussi « des pratiques de corruption dans l’achat et le retard d’achat des vaccins. » Jair Bolsonaro est accusé d’avoir omis de signaler une tentative de corruption dans l’achat de doses du vaccin indien Coxavin. Il est également dans le collimateur de la justice pour avoir diffusé une fausse information dans une vidéo faisant le lien entre le vaccin anti-Covid et la maladie du sida. Le président brésilien est aussi sous le coup d’une autre enquête de la Cour suprême pour avoir diffusé de fausses informations sur le système de vote électronique. C’est un sujet qui mérite explication : M. Bolsonaro, surnommé le « Donald Trump sud-américain » avait accusé de fraude ces urnes électroniques, en vigueur depuis 1996 au Brésil, sans jamais apporter la moindre preuve. Il a même proféré la menace d’annulation des résultats du scrutin d’octobre prochain si le système actuel n’était pas remplacé par les bulletins papier.
Ces attaques répétées contre le vote électronique font aujourd’hui l’objet de l’enquête ouverte en août 2021 pour « calomnie » et « incitation au crime ». Dans le courant du mois de janvier 2022, Jair Bolsonaro avait été sommé de comparaître, le vendredi 28 janvier, à Brasilia, devant la police et en présence d’un juge de la Cour suprême. La décision du juge Alexandre de Moraes – faire comparaître Bolsonaro pour « apporter un témoignage personnel au siège de la police fédérale (PF) » –, était nécessaire afin de déterminer sa responsabilité dans la diffusion, sur les réseaux sociaux, de documents considérés « confidentiels » par le Tribunal supérieur électoral (TSE). Selon le Tribunal fédéral suprême (STF, la plus haute instance du pouvoir judiciaire brésilien), cette sordide manœuvre avait pour but de montrer le manque de fiabilité des bulletins électoraux électroniques.
Or, fidèle à sa réputation le président n’a pas honoré la convocation de la justice. Ce refus du président est un nouvel affront contre le juge de Moraes, qui a autorisé diverses enquêtes à son encontre. Parmi elles figure notamment l’interrogatoire à Bolsonaro au siège de la présidence, en novembre dernier, sur ses interférences présumées avec la police fédérale dans des affaires concernant des membres de sa famille. C’est dans ce contexte-là que le président brésilien a annoncé, le 27 janvier, soit le veille du rendez-vous avec la justice, son voyage en Russie fin février pour rencontrer Vladimir Poutine. Cependant, alors que la tension ne cesse de monter entre Moscou et les Occidentaux au sujet de l’Ukraine, la visite de Bolsonaro pourrait être annulée. Car selon Washington, le président russe a l’intention de mobiliser ses troupes contre l’ancienne république fédérée de l’U.R.S.S. mi-février. Sur ce point, Bolsonaro a déclaré que sa visite à Moscou « n’avait pas pour but de créer des problèmes d’animosité » : « Nous sommes au courant des problèmes qu’on quelques pays avec la Russie. Mais la Russie est notre partenaire. C’est un voyage qui a un intérêt pour nous, et pour eux aussi » a-t-il déclaré avant d’ajouter que « l’invitation vient de leur côté ».
Cette rencontre de Bolsonaro avec Poutine, après la visite du président argentin Alberto Fernández le 3 février, n’est en réalité qu’une nouvelle étape du rapprochement entre la Russie et l’Amérique latine. On pourrait même voir dans l’intérêt de la Russie en Amérique latine – en tandem avec la Chine – une géostratégie dont l’objectif serait de prendre le control de cette région considérée historiquement comme l’arrière-cour des États-unis (doctrine Monroe). A cet égard, il faut rappeler que le Brésil fait partie des BRICS, acronyme de la fédération réunissant depuis 2011 le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et la république d’Afrique du Sud. Ces pays ainsi réunis influent concrètement sur la direction de l’économie du globe car ils composent plus de 40 % de la population mondiale, ce qui représente dans le commerce international 27 % du PIB.
Au regard de ce qui précède, comment va évoluer la situation de Jair Bolsonaro d’ici aux élections présidentielles d’octobre prochain ? Une chose est certaine, il se sent investi par la providence. Il veut mener à bon terme sa mission sur terre, « changer le destin du Brésil » après avoir survécu miraculeusement à l’attentat à l’arme blanche, en septembre 2018, dont il garde de nombreuses séquelles et a été opéré six fois ces deux dernières années. De confession catholique, en 2016 il s’est fait baptiser « symboliquement » dans le Jordan, en Israël, selon le rite évangélique. Dans cette perspective, on ne peut pas manquer de mentionner un détail symbolique sur ses prénoms car ils ont certainement pour lui une signification particulière. Dans maintes traditions, le nom propre peut refléter l’état d’esprit de celle ou celui qui le porte, ou bien être lié à son comportement, à sa fonction ou avoir une connotation prophétique. Ainsi dans le cas de Bolsonaro, ses prénoms, d’origine hébreux, montrent que la réalité dépasse toujours la fiction : Jair Messias signifie« messie qui brille – ou éclaire ». Or, pour remporter l’élection présidentielle, parmi les épreuves que Jair Messias Bolsonaro devra surmonter se trouve l’irrésistible montée en puissance de son plus redoutable adversaire politique. Un homme également prédestiné, selon l’étymologie : Luiz Ignacio da Silva, « glorieux et ardente combattant de la forêt ».
Un nom peut ainsi cacher le destin de la personne. L’ex-président (2003-2010), qui n’est pas encore officiellement candidat, est resté emprisonné pendant deux ans pour des soupçons de corruption dans le cadre de l’affaire « Lava Jato ». Il a finalement été acquitté en mars 2021 par la Cour suprême. Selon les derniers sondages, le glorieux et ardente combattant remporterait l’élection dès le premier tour avec 48 % de suffrages. Une popularité qui s’explique d’abord par son image de bonhomie qui représente pour les couches populaires un humanisme idéalisé. En effet, il n’est pas exagéré de dire que Lula da Silva a été presque divinisé par les plus démunis qui continuent de l’attendre et forment le pré carré de l’ancien dirigeant syndicaliste. Cela malgré le « bilan contrasté » (1) de sa gestion, laquelle rappelle toutefois des bons souvenirs grâce à une conjoncture économique mondiale exceptionnelle jusqu’à la crise de septembre 2008.
Ainsi s’annonce le retour tonitruant de l’ancien syndicaliste. Mais, comme l’a souligné à l’agence France Press Edson Sardhina, directeur de la rédaction du site Congresso em foco, « il ne faut pas sous-estimer la virulence du sentiment anti-Lula parmi de nombreux Brésiliens. » Pourtant, aux yeux de ceux qui ont bénéficié de sa politique de solidarité, la figure de Lula rappelle toujours ces mots de Thomas Moore : « [Brésil], ô [Brésil], ton hiver est passé, et l’espérance qui lui a survécu refleurira (2) ». L’hiver brésilien, c’est Jair Bolsonaro, et Lula da Silva ne semble pas vouloir se soustraire à cet appel des couches populaires pour qui il incarne toujours l’espérance avec un grand E. On sait que l’espoir fait vivre, c’est l’espoir des pauvres contre l’élite corrompue. Ceci dit, à l’heure actuelle Lula da Silva n’a pas encore annoncé son intention de briguer un troisième mandat. Mais il a clairement laissé entrevoir son retour en politique. En novembre dernier, lors d’une tournée européenne, Lula a été reçu par Emmanuel Macron à l’Élysée pour un déjeuner et un entretient « sur les derniers développements sur la scène internationale ».
La vaste tournée européenne de Lula, surtout la rencontre avec Macron n’a pas laissé indifférent M. Bolsonaro : « Macron et Lula vont bien ensemble, ils s’entendent bien et parlent le même langage », a déclaré Bolsonaro à la radio Sociedade. « Macron a toujours été contre nous, il nous a toujours attaqués sur la question de l’Amazonie. Donc, on dirait que [la rencontre avec Lula] c’est une provocation », a-t-il ajouté. Rappelons que la relation Bolsonaro-Macron reste tendue après les critiques du président français, en 2019, sur les incendies en Amazonie. Plus fort encore : en janvier 2020, Bolsonaro avait demandé à Macron d’arrêter « de dire des idioties » au sujet de la déforestation à cause de la production de soja, et il a asséné son homologue français d’une manière sarcastique : « Pour l’amour de Dieu, Monsieur Macron, n’achetez pas de soja brésilien, comme cela vous ne déforestez par l’Amazonie. Achetez du soja en France »
Le Brésil devra attendre encore neuf mois pour connaître la suite de cette gestion à la Donald Trump. Mais la récente hospitalisation du président a mis de l’huile sur les rouages de la campagne présidentielle. Ainsi, Jair Bolsonaro a eu une occlusion intestinale, mi-janvier, pour avoir avalé un morceau de crevette non mastiqué. Cette information a suscité une vague de raillerie sur les réseaux sociaux de la part des partisans de Lula, notamment une photo où l’on voit une crevette coiffée de la casquette préférée de l’ex-président de gauche, avec ce commentaire : « pendant que vous attendez la date de la révolution, les crevettes agissent ».
Eduardo UGOLINI
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1. Le Brésil de Lula : un bilan contrasté, ouvrage collectif, Éditions Syllepse (2010) p. 131.
2. Mélodies Irlandaises. Érin ! Ô Érin ! Thomas Moore (1779-1852).