L’épouse de l’ancien président Manuel Zelaya, renversé en 2009 par un coup d’État militaire, deviendra le 27 janvier prochain la première femme à gouverner son pays. C’est incontestablement une victoire historique dans le combat pour l’égalité des genres en politique. « Une opportunité pour restaurer le sens de l’État », selon le think tanc Inter-American Dialogue, car « de la corruption et l’impunité découlent tous les autres problèmes ».
Photo : El Pais
Situé au cœur de l’Amérique centrale, entouré par le Salvador, le Guatemala et le Nicaragua, le Honduras garde encore, comme ses voisins, l’image de « République bananière ». Née en 1904 sous la plume de l’écrivain William Porter (dit O. Henry), cette expression fut d’abord employée pour décrire le Honduras, devenu à cette époque une colonie agricole sous l’égide de la toute-puissante entreprise yankee ‘’United Fruit Company’’. Après un siècle d’exploitation ouvrière en connivence avec les gouvernements oligarchiques et les dictatures militaires, orchestrées par les services spéciaux étasuniens, le Honduras est aujourd’hui un pays gangréné par la criminalité, la corruption, le narcotrafic, et une pauvreté record à l’origine d’un flux migratoire croissant, notamment vers les États-unis.
Ce sont donc de nombreux défis musclés qui attendent Xiomara Castro, 62 ans, du parti de gauche Liberté et Refondation (LIBRE). Élue dimanche 28 novembre avec 53 % de voix, battue de peu lors de la présidentielle de 2013, la question maintenant est de savoir quelle sera la stratégie de cette amie du Vénézuélien Nicolás Maduro pour tenter de redresser son pays. En ordre de priorités, la première préoccupation de la population est la violence généralisée. En effet, le Honduras est un des pays les plus dangereux au monde : taux d’homicides d’environ 40 morts pour 100 000 habitants. Selon l’Observatorio Nacional de la Violencia de l’Universidad Nacional de Honduras, entre décembre 2020 et octobre 2021, c’est-à-dire au cours de cette campagne présidentielle, vingt-six militants politiques ont été assassinés parmi lesquels sept membres du parti LIBRE. De son côté, depuis la capitale Tegucigalpa, la mission d’observation de l’Union européenne a déclaré qu’au moins trois candidats aux élections municipales du Partido Liberal, et un coordinateur du parti LIBRE, ont été tués pendant les semaines précédant le scrutin.
À la violence des gangs et les victimes de la violence politique s’ajoutent la corruption et la drogue. Après douze ans d’hégémonie du parti Nacional, des soupçons de trafic pèsent sur Juan Orlando Hernández. Le président sortant, dont le slogan de son gouvernement était Honduras is open for Business (Honduras est ouvert au Marché), devra faire face aux accusations de narcotrafic portées par le Tribunal de New York. Aussi son frère, l’ex-député « Tony » Hernández – surnom qui rappelle le Scarface « Tony » Montana – purge actuellement une peine de prison aux États-Unis : il a été également accusé pour narcotrafic et condamné en 2018 à perpétuité. Un autre candidat, Yani Rosenthal, avait été condamné et emprisonné trois ans aux États-Unis, en raison de son implication dans des crimes financiers et ses liaisons avec le crime organisé et le narcotrafic. Par ailleurs, celui qui était considéré comme le successeur du régime de Hernández, Nasri Asfura, candidat perdant face à Xiomara Castro, reste l’un des pics saillants dans le relief escarpé de la corruption à cause de détournement des fonds publics de la mairie de Tegucigalpa.
Parmi les mesures promises pendant la campagne, outre l’abrogation des Zones économiques spéciales (Zede), « servant de refuge aux gens fuyant la justice ou l’extradition », la restructuration de la dette (17 milliards de dollars), la légalisation de l’avortement en cas de viol et le mariage homosexuel, Xiomara Castro ne semble pas disposée à effacer tout et oublier l’une des périodes les plus corrompues de la politique de son pays. Dans une interview accordée à l’Agence France Presse, elle s’est montrée favorable à la création d’une commission de lutte anti-corruption nommée par les Nations unies (ONU). Dans ce domaine, selon les enquêtes menées par Transparency International, sur 180 pays le Honduras occupe la 157èmeplace. Mais si le narcotrafic et la corruption atteignent les plus hautes sphères du pouvoir, d’autres sujets d’inquiétude se révèlent prioritaires pour la future présidente.
La pauvreté atteint près de 60 % de la population, soit six millions d’habitants sur dix. Le chômage est passé de 5,7 % en 2019 à 10,9 % en 2020. Ces chiffres alarmants découlent notamment de la pandémie, certes, mais surtout par défaut de réserves monétaires destinées à subventionner un programme d’aide d’urgence pour les travailleurs les plus démunis. C’est le grand malheur du dit « tiers monde » : au lieu de contribuer à se prémunir contre les aléas de l’avenir dans un monde en pleine mutation, le produit de la sueur populaire sert à entretenir les réseaux de la corruption. Ainsi, ce qui était au début une vocation philanthropique est devenue un business des plus lucratifs au Honduras. Dans ce contexte d’inertie politique et de dégradation économique, il en résulte ce qu’on pourrait appeler un « état d’entropie sociale » (qui touche également une grande partie de l’Amérique latine), à savoir des dizaines de milliers de Honduriens qui tentent chaque année l’aventure de l’exil – 400 000 en 2021 –, à l’instar d’un million de leurs compatriotes déjà installés pour la plupart aux États-unis.
Justement, l’Oncle Sam, qui possède une base militaire au Honduras depuis les années 1980, a suivi de près cette campagne présidentielle. Car le flux migratoire ne cesse de nourrir ce que les médias, de CNN à Fox News, nomment la ‘’Border Crisis’’, la « crise frontalière ». Le Honduras, le Salvador et le Guatemala composent le « Triangle du Nord » d’où partent en majorité les migrants en direction de la frontière au nord du Mexique. C’est la raison pour laquelle l’administration Biden espère de Xiomara Castro une étroite collaboration : « Nous espérons travailler ensemble pour renforcer les institutions démocratiques, promouvoir la croissance économique et combattre la corruption », a tweeté le secrétaire d’État Antony Blinken, en s’exerçant au classique « copier-coller » depuis les discours tenus au fil des dernières décennies par les émissaires de Washington lors des tournées en Amérique latine.
Mais ce qu’il faut absolument retenir de ce scrutin, au-delà du fait que depuis 1894 c’est la première fois que le parti Nacional (PN) et le parti Libéral de Honduras (PLH) perdent une élection, est son caractère symbolique porteur d’une indéniable charge d’Espoir. Car la victoire de Xiomara Castro représente une nouvelle conquête pour l’égalité des genres en politique. C’est un événement d’autant plus remarquable s’agissant d’un pays, voire d’une région, où le concept de « macho-latino » reste fortement ancré dans l’imaginaire collectif. Ainsi l’élection de Mme Castro doit être considérée dans une perspective historique : depuis 1991, avec l’introduction de « quotas » en Argentine, au moins quatorze pays d’Amérique latine ont entériné le protocole sur les droits des femmes en politique.
Comme partout ailleurs, en Autriche, en Finlande, en Grèce, au Mexique, en France, en Nouvelle-Zélande, les femmes accèdent progressivement à des postes importants au sein d’un gouvernement. De ce fait, on attend d’elles une autre façon d’exercer le pouvoir, c’est-à-dire une évolution des idiosyncrasies capable de provoquer un véritable changement de pratiques, et de croyances, crépusculaires. Car force est de constater que le narcotrafic et la corruption, le réchauffement planétaire et la pollution, les conflits armés à répétition, sans oublier les fondamentalismes religieux aveugles à l’intérêt général, sont le résultat d’un monde dominé par une « macho-cratie » qui, de manière flagrante et dangereuse, commence à montrer ses propres limites.
Eduardo UGOLINI