Le site Pressenza du 20 novembre dernier a publié une tribune de Pierre Boquié, infographiste à la retraite dans les Cévennes, qui a découvert très jeune l’enseignement de Prem Rawat, qui offre des outils pratiques pour se connaître soi-même et explorer ses ressources intérieures.
Photo : Pressenza
« Les sciences nous permettent de comprendre les lois physiques du monde dans lequel nous vivons, mais elles ne nous conduisent pas forcément à nous poser les bonnes questions sur notre rôle dans tout cela ». Cette réflexion m’est venue après avoir regardé un documentaire passionnant sur l’apport décisif des mathématiques dans la recherche scientifique [1]. Il est fascinant de constater qu’un raisonnement rigoureux peut conduire à anticiper l’existence de phénomènes que l’on n’a encore jamais observés. C’est la grande leçon des mathématiques. Plusieurs découvertes sont citées à titre d’exemple : La planète Neptune, les ondes électromagnétiques, le Boson de Higgs. Toutes ces observations concrètes dans le monde réel sont intervenues plusieurs années, voire des dizaines d’années après que des théories abstraites en aient prédit l’éventualité plus que probable.
Cependant, le processus scientifique est-il en mesure de répondre vraiment à la question qui nous est posée aujourd’hui avec le réchauffement climatique ? Il peut en expliquer les causes et les manifestations avec une marge d’erreur qui semble tout à fait acceptable, proposer des solutions à mettre en œuvre, mais en quoi peut-il nous décider à agir collectivement dans ce sens ? Car ce n’est plus l’ignorance de la menace qui nous aveugle, mais une forme d’addiction à un mode de vie que nous ne sommes pas prêts à abandonner. Comme le fait remarquer judicieusement Jean-Marc Jancovici, l’humanité a vécu plus longtemps avec les énergies renouvelables qu’avec les énergies fossiles[2], dont l’exploitation commence au milieu du XIXe siècle avec la révolution industrielle. Quelles que soient les disciplines, le butin de la science est impressionnant, autant pas ses découvertes ou inventions que par les méthodes employées pour y parvenir. Cependant, lorsqu’on écoute les chercheurs eux-mêmes parler de leur discipline, certaines de leurs observations sont parfois déconcertantes.
Lorsque, par exemple, dans ce documentaire sur les mathématiques, un chercheur s’extasie devant le fait que la loi de la gravitation opérant sur terre s’applique jusqu’aux confins de l’univers, j’aurai envie de lui rappeler qu’univers et universel ont une racine commune. Lorsqu’un autre nous dit « avoir l’impression qu’il existe quelque chose avant qu’on ne le découvre », je cherche la rationalité d’une telle observation. Nous savons que nos inventions ne sont que de simples bricolages, parfois extrêmement astucieux et sophistiqués, mais des bricolages quand même, imitant souvent ce que nous avons pu observer dans la nature. Elles nous permettent de démultiplier notre pouvoir d’action mais en créant aussi en retour une perturbation de notre milieu que manifestement nous n’avons pas encore appris à maîtriser. Et la science semble bien démunie pour répondre à cette problématique. Le biologiste italien, Stéphano Mancuso, posait magnifiquement le problème le 5 octobre dernier en ces termes : « Nous croyons être ce qu’il y a de mieux dans ce qui est apparu sur la planète, parce que nous avons ce gros cerveau et nous pensons être meilleurs que les autres êtres vivants. Mais dans la vie, quand nous pensons être meilleurs que les autres, à quel concours participons-nous ? Tous les êtres vivants participent à un seul concours, un objectif fondamental qui est la survie de l’espèce. L’Homo Sapiens est là depuis 300 000 ans. La vie moyenne d’une espèce sur la planète est de cinq millions d’années. Ce qui veut dire que si nous étions aussi bons, pas meilleurs, juste aussi bons que l’espèce moyenne, nous devrions encore survivre au moins 4,7 millions d’années. Quand on voit ce que l’on a fait durant les 15 000 dernières années, une plus grande humilité serait fondamentale. »[3]
Pendant que nous poursuivons notre marche forcée vers un progrès qui a encore beaucoup de progrès à faire, d’innombrables espèces vivantes semblent déjà arrivées à leur apogée depuis des millénaires et œuvrent sans relâche et sans bruit aux humbles tâches qui sont les leurs. Dans la même émission sur France Culture, la Docteure en physiologie végétale, Catherine Lenne, apportait aussi son expertise sur les connaissances les plus récentes de cette discipline : « La capacité d’une plante à percevoir le monde est bien supérieure à celle d’un homme, du fait qu’elle ne peut pas se mouvoir. Son intelligence n’est pas concentrée dans un organe comme le cerveau mais présente dans chaque cellule de la plante. […] Il y a débat à savoir si la plante envoie des signaux à destination des autres plantes ou seulement pour elle-même, par exemple d’une feuille vers une autre. » Cette dernière remarque, apparemment anodine, m’a interpellé car elle sous-entend que nous prêtons des intentions aux plantes de même nature que les nôtres. Intuitivement nous savons que tout le vivant est soumis aux mêmes lois universelles, mais nous n’y accordons que peu d’importance, sans doute parce que cela porte indirectement ombrage à notre prestige mal assuré. Les deux chercheurs, comme la grande majorité de la communauté scientifique aujourd’hui, s’accordent pour reconnaître l’importance de chaque espèce vivante, indispensable rouage d’un équilibre dont la complexité donne le vertige. Après des années d’observation et d’analyse, Lenne et Mancuso ont développé une véritable fascination pour l’absolue dédication de chaque espèce de plante ou d’arbre à remplir parfaitement sa tâche, sans jamais s’en écarter.
Lorsqu’il fut question d’aborder notre rôle à nous, les êtres humains, la réponse que les chercheurs ont donnée est celle que toute personne consciente du problème du dérèglement climatique donne habituellement : nous devons absolument, urgemment réparer les dégâts que nous avons causés. C’est effectivement de notre seule responsabilité, car nous sommes les seuls perturbateurs. Mais est-ce que cela répond véritablement à la question de « quel est notre rôle » ? Une simple observation au passage. Chaque espèce animale ou végétale – et il en existe des centaines de millions – dispose de moyens de perception de son environnement qui lui sont propres, créant autant d’univers sensibles qu’il existe d’espèces. La mouche, par exemple, voit à 200 images par seconde, pendant que l’éléphant peut communiquer avec ses congénères jusqu’à 30 km à la ronde grâce aux infrasons, nous explique Benoît Grison[4]. Et tout ce petit monde coopère à un équilibre commun dont chacun ne perçoit qu’une partie étroite du spectre. N’est-ce pas là un indice sérieux de l’existence d’un pouvoir supérieur et universel qui préside à ce grand show cosmique ?
Parmi les participants à cette saga plus qu’hollywoodienne, il existe une seule espèce qui ne joue pas le jeu et il semblerait que ce soit nous. Celle qui dispose du cerveau le plus complexe. Celle capable d’apprendre, de découvrir, d’inventer, de créer. Celle qui a la conscience de soi et de sa propre mortalité. Celle qui dispose du libre arbitre… Mais aussi celle qui se demande pourquoi elle est là. Celle qui s’interroge sur elle-même et le sens de la vie. Celle qui croit en des dieux mais sans jamais se demander s’il y aurait un moyen « scientifique » de s’assurer de leur existence. Celle qui est capable d’une incroyable rationalité à propos de tout, sauf lorsqu’il s’agit de résoudre l’énigme la plus intime qui soit… Nous appliquons mal le principe de conscience et nous avons du mal à l’admettre. Notre manque d’humilité souligné par Stéphano Mancuso y est sans doute pour quelque chose, mais pas seulement. Il a été dit, de tout temps, que la connaissance de soi est le savoir suprême, celui qui s’acquiert de haute lutte dans un corps à corps sans merci entre l’âme assoiffée de vérité et ne supportant plus la séparation d’avec elle-même et son double pétri de croyances, de rêves et de fausses illusions. C’est l’ultime découverte, celle qui fait taire en nous tous les débats, tous les questionnements. Tous les indices que l’on avait accumulés tout au long de son existence trouvent enfin confirmation. Un sentiment profond de gratitude vous submerge quand, tel l’enfant se jetant dans les bras de sa mère après une longue et douloureuse séparation, les retrouvailles ont lieu. Le cauchemar est fini, on rentre à la maison.
J’ai regardé avec grand intérêt et beaucoup d’émotion un très beau portrait en trois volets de Greta Thunberg[5]. Ayant pris, en 2020, une année sabbatique pour mieux s’informer sur les enjeux du dérèglement climatique, la jeune militante suédoise est allée à la rencontre de scientifiques du monde entier. Greta écoute et questionne ses interlocuteurs. Elle veut savoir concrètement ce qu’il en est, quel est l’état de la situation sur le terrain, quelles solutions sont envisageables. À 18 ans tout juste, Greta est en pleine réflexion, en plein devenir. Elle n’a certainement pas fini de nous secouer et de nous surprendre. Alors, il faudrait lui dire à Greta que si elle veut remonter jusqu’à son origine la chaîne de cause à effet qui provoque le réchauffement climatique, il faut qu’elle inclue aussi l’âme humaine dans l’équation. Oui, les activités humaines. Oui, la rapacité humaine. Oui, les dirigeants qui cherchent à temporiser. Mais cela ne répond pas à la question : « Pourquoi ? » Il faudrait lui dire à Greta que peut-être nos comportements sont l’indice d’un dysfonctionnement chez nous qui doit pouvoir se soigner. Il faudrait lui dire à Greta que le problème semble énorme car il affecte la planète tout entière, mais qu’il est tout petit en réalité puisqu’il se loge en nous, et que son impact est démultiplié par notre nombre. Il faudrait lui dire à Greta que la science n’a pas encore livré tous ses secrets, mais que c’est d’une autre science dont il s’agit. Celle qui permet de répondre à l’injonction inscrite sur le fronton du temple de Delphes et popularisée par Socrate : « Connais-toi toi-même. » Celle qui nous permettrait de prendre enfin la place qui nous revient, celle d’adorateur du vivant. Elle est très rationnelle Greta, je pense qu’elle devrait comprendre.
Aimer, adorer, apprécier, se réjouir, c’est, avec penser et cogiter, ce que nous savons faire de mieux, bien mieux que courir, voler, nager, voir et entendre ou même mordre et griffer. Nous n’avons pas encore mesuré l’importance stratégique de ce potentiel. Le Créateur n’est pas un idiot. Il ne s’est quand même pas donné tout ce mal à orchestrer un grand show, monter tous ces décors, concevoir cette mise en scène grandiose pour, finalement, donner une représentation sans spectateurs ! « Admirer. Admirer chaque jour où vous êtes en vie. Admirer chaque moment de votre vie. Et si vous étiez obsédé, obsédé par cette admiration, obsédé par la joie, obsédé par la gratitude ? Que se passerait-il si vous étiez obsédé par le sentiment de paix qui réside et danse dans votre cœur ? Eh bien, ce serait un monde très différent pour vous, pour moi, pour nous tous. » –Prem Rawat
Pierre BOQUIÉ
Site Pressenza
Notes
[1] Le grand mystère des mathématiques, Richard Reisz et Dan McCabe, Arte, 2015.
[2] C à vous, France 5, le 5 novembre 2011.
[3] De cause à effets, le magazine de l’environnement, France Culture, 5 octobre 2021.
[4] Les savanturiers, Fabienne Chauvière, France Inter, 23 octobre 2021.
[5] Greta Thunberg, un avenir pour la planète, J. Myerscough, A. Duncan et L. Mulholland, France 5, 2021