Une détective vénézuélienne un peu sorcière est envoyée à Caracas pour retrouver une jeune fille disparue. Avec ce thriller, l’auteur Juan Carlos Méndez Guédez évoque sa ville natale rongée par la violence et les pénuries. Juan Carlos Méndez Guédez est un des auteurs pressentis pour les Belles Latinas d’octobre 2022.
Photo : Ed. Métailié
Le Venezuela est un corps malade et sa capitale, Caracas, en est la plaie ouverte. Avec La Vague arrêtée (Éditions Métailié, traduit par René Solis), le romancier vénézuélien Juan Carlos Méndez Guédez a choisi le polar pour ausculter cette vilaine blessure et un personnage insolite pour en souligner l’irrémédiable infection. Magdalena Yaracuy, une détective vénézuélienne qui vit en Espagne, est engagée par un homme politique madrilène pour retrouver sa fille Begoña, disparue à Caracas. L’enquêtrice hésite : la capitale du Venezuela est devenue la ville la plus dangereuse du monde, bien loin de ses souvenirs romantiques de jeune étudiante, elle le sait. Et les pouvoirs de sorcière qui l’aident dans son métier, grâce à la déesse María Lionza qu’elle invoque, risquent de ne pas suffire à la sortir des mauvais pas.
Une balle à chaque coin de rue
C’est avec ce personnage féminin atypique, médium à ses heures, que l’auteur nous embarque dans une quête périlleuse et riche en rebondissements au cœur de la capitale vénézuélienne. Magdalena chemine dans une ville déglinguée où tout manque, la nourriture comme l’électricité, où l’insouciance n’existe plus, une ville où chacun referme prudemment sa porte pour feindre d’ignorer le passage d’un commando à moto qui vient “nettoyer“ un quartier récalcitrant, armes lourdes à l’appui.
Juan Carlos Méndez Guédez n’a pas besoin de s’attarder sur le contexte politique de son pays natal pour nous faire toucher du doigt le pourrissement, le chaos qui y règne et les complicités nauséabondes du pouvoir dans la violence ambiante. Le lecteur comprend vite qu’à Caracas, une balle peut vous faucher à tout moment, qu’elle vous soit destinée ou non, et qu’il est difficile de distinguer votre ennemi tant l’imbrication est grande entre la délinquance et le bras armé de l’autorité. Paramilitaires, flics, gangs, espions ou agents doubles, l’étendard de la mort et du silence apeuré des habitants enveloppe cette ville où tout est instable et menaçant. « Survivre au Venezuela impliquait de se taire, ou de garder un demi-silence (…) »
Opportunisme et débrouille
Prudemment, Magdalena poursuit son enquête dans ce monde interlope où les alliances se retournent selon le montant de la récompense qui peut décider l’un ou l’autre à parler, ou selon l’envie de fuir loin de cette folie avec quelques devises. Comme dans un précédent roman noir de Juan Carlos Méndez Guédez (Les valises), l’opportunisme et la débrouille sont les seules béquilles pour se maintenir en vie dans un univers où il n’y a guère de gentils et de méchants, mais plutôt une galerie de personnages emportés de bon ou de mauvais gré dans une spirale de violence et de complot permanent. Aux demi-vérités que lâchent les uns répondent les mensonges et les manipulations des autres, tandis qu’au sommet, le pouvoir fait figure de farce macabre : « [Le président] parlait de façon décousue, faisait des plaisanteries, offrait de vagues perspectives d’avenir (…), saluait les unités combattantes, l’armée, les Collectifs (…).
Dans ce tableau peu avenant, l’héroïne Magdalena campe un personnage drolatique qui ouvre une respiration dans le récit. Gourmande des hommes, ancrée dans ses croyances surnaturelles mais assez perspicace pour flairer arnaques et dangers, romantique et revancharde, l’enquêtrice visionnaire tient son lecteur avec humour pour l’accompagner sur les sentiers tortueux de l’intrigue.
La Vague arrêtée fait référence à une légende indienne à propos de la montagne qui domine Caracas, l’Ávila. En des temps lointains, les habitants de la vallée auraient un jour offensé les dieux de la mer, et ceux-ci auraient décidé de se venger en soulevant une immense vague destinée à détruire toute la vallée. À cet instant, les habitants mortifiés auraient imploré le pardon des dieux, parvenant ainsi à arrêter la vague qui se serait alors transformée en montagne. Aujourd’hui, plus personne ne semble protéger Caracas de la furie.
Sabine GRANDADAM
La Vague arrêtée, de Juan Carlos Méndez Guédez, éditions Métailié, traduit de l’espagnol (Venezuela) par René Solis, 304 pages, parution octobre 2021, 22 €.