« Corpografías », un projet intégrant en Colombie les situations de post-conflit à l’art

Corpografías est une archive numérique qui abrite les pratiques et processus artistiques de quatre municipalités : Ungía et Bojayá dans le département du Chocó ; Buenaventura dans le Valle del Cauca et Guapí dans le département du Cauca, cherchant à donner un nouveau sens à l’art dans la construction subjective de ces quatre lieux, à partir des communautés qui y vivent.

Photo : Prácticas Artísticas y Memoria en el Pacífico (UdeA – RHUL) – Pressenza

Le projet est né de la nécessité de donner la voix aux victimes du conflit armé, qui, dans divers processus créatifs, étaient toujours reléguées à ce rôle sans possibilité d’en sortir, sans pouvoir se représenter en tant que leaders, mères, responsables culturels, enseignants et même artistes. C’est pourquoi Ana María Tamayo Duque, enseignante et chercheuse à la faculté des arts de l’université d’Antioquia, a créé, avec un groupe de travail, le projet : Pratiques artistiques et corporelles dans les processus de mémoire, de paix et de réconciliation, dans le cadre de post-conflit que connaît la Colombie.

Ce projet est une collaboration de l’Université d’Antioquia et de l’Université de Londres Royal Holloway, au Royaume-Uni, et a été soutenu par le ministère des Sciences, de la Technologie et de l’Innovation (Minciencias) et le Newton Fund du Royaume-Uni, avec des fonds alloués par l’Union européenne pour la situation de post-conflit.

Accords de Paix

Pour donner suite à la signature des Accords de Paix de 2016 entre l’État colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (l’ancienne guérilla des FARC), différents gouvernements et la Communauté européenne ont apporté une aide de 15,7 millions d’euros pour la réalisation de ce processus. Dans ce cadre, des espaces ont été créés pour mener des projets culturels qui permettent aux communautés de créer des réseaux de mémoire et de dialogue où la réconciliation et la paix sont les objectifs à court terme qui permettront au pays de connaître la vérité sur les événements et de reconstruire une société basée sur la non-répétition.

Cependant, en 2021, et alors que l’année n’est pas encore écoulée, 108 défenseurs des droits humains et dirigeants et dirigeantes, ainsi que 34 signataires des Accords de Paix ont été assassinés et 65 personnes ont été tuées dans différents massacres à travers le pays. Ces faits, ainsi que le rejet par le président colombien, Iván Duque, de la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP), des processus de retour à la société civile des ex-combattants dans les Espaces Territoriaux de Formation et de Réincorporation (ETCR), et le non-respect des points des Accords de Paix, ont entravé les progrès dans le développement des programmes de création de la mémoire et de reconstruction de la société.

Avec ce projet, les chercheurs ont créé des réseaux d’artistes et de communautés dans les quatre municipalités situées dans le Pacifique colombien, qui à travers certains mécanismes ont contribué aux processus de guérison des dommages causés par le conflit armé.

Premier arrêt

Début 2020, la professeure Tamayo et son équipe sont arrivés à Quibdó, capitale du département de Chocó (nord-ouest du pays). En association avec la Corporaloteca (archives corporelles et orales) de l’Université technologique de Chocó, l’équipe a interviewé des créateurs culturels, qui « avaient une réponse élaborée pour parler du conflit armé dans cette ville à partir de leur rôle de victimes », explique Ana María Tamayo. Cependant, les chercheurs ont essayé de comprendre comment l’art avait le pouvoir de construire la subjectivité de chaque communauté et, à son tour, la perception des multiples réalités vécues dans ces espaces.

À travers les communautés afros et indigènes de cette partie du Chocó, des enregistrements audiovisuels ont été réalisés sur les processus créatifs et artistiques qui ont permis aux habitants de reconfigurer et de réinventer les significations sociales, les pratiques de sociabilité et les identités, résultats de négociations et des conflits. Ici on ne parle pas du « conflicto » armé mais bien de désaccord sur les processus créatifs ?

Réseaux de co-présence

Au cours du travail de terrain, avec les habitants du Pacifique, le groupe de recherche a identifié les différences culturelles présentes dans la création artistique et la reconnaissance du corps comme moyen de construire une mémoire, ce qui a été l’occasion de réaliser le premier atelier audiovisuel dans la municipalité de Buenaventura en mars 2020. Toutefois, ce processus n’a pu être mené à son terme suite à l’urgence sanitaire provoquée par le Covid-19.

Pour cette raison, le développement de cet atelier à travers des plateformes virtuelles a permis d’ouvrir des espaces dans lesquels les communautés des quatre municipalités ont partagé des moments de réflexion, ce qui a facilité le rapprochement et la création d’un nouvel espace d’entre-aide durant le confinement. En outre, ces réunions ont rétabli les canaux de dialogue entre les municipalités, démontrant que vivre en coprésence permet de coexister à partir des différences, afin de trouver des solutions communes aux problèmes générés par le conflit armé.

Créer pour grandir en tant que communauté

La création a été l’une des principales interventions des participants à la recherche, car elle a montré que la préservation des connaissances ancestrales et des pratiques traditionnelles, enseignées par les adultes plus âgés aux adolescents et aux jeunes par le biais de chansons, d’histoires, de tissage et de danse, permet de construire la mémoire, de nourrir la culture et de stimuler la créativité des nouvelles générations.

Ce projet, qui a pris fin en mai 2021, a permis de collecter plus de 200 pratiques culturelles sous différents formats, librement consultables. En outre, les communautés ont la possibilité d’inclure du contenu sur le site web avec d’autres pratiques artistiques qui établissent la construction de la paix, de la mémoire et de la réconciliation dans leurs territoires. Corpografías est en somme une expérience qui permet aux communautés de voir le post-conflit comme une occasion de créer des liens qui vont dans le sens de la création d’une société équitable et juste, propice à la paix et à la non-répétition.

Stephanía ALDANA CABAS

Traduction de l’espagnol, Rédaction francophone de Pressenza.