Alors que Daniel Ortega brigue un quatrième mandat consécutif lors des élections générales du 7 novembre, le gouvernement a arrêté au cours des trois derniers mois près de trois douzaines de personnalités de l’opposition, dont sept candidats potentiels à la présidence. Chronique d’une dictature annoncée depuis les années 1980.
Photo : El Espectador
Célèbre pour avoir expulsé hors de son pays les troupes yankees, la victoire du jeune général Augusto Cesar Sandino(1895-1934) fut de courte durée. Trahi par la garde nationale, formée par les conseillers militaires de Washington, son chef, Anastasio Somoza, avait fait assassiner le héros à la fin d’un banquet. Assuré du soutien de l’Oncle Sam, le Nicaragua vécut depuis 1937 sous l’emprise totalitaire de la dynastie Somoza. Malgré son échec, la guerre d’indépendance menée par Sandino eut le mérite d’avoir semé chez les nouvelles générations les graines de la libération. Ainsi, les légataires du héros national ont récemment commémoré une date historique : le 29 juillet 1979, l’armée des Somoza, la « Guardia Nacional », était battue par les troupes du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), avec à leur tête Daniel Ortega. À cette époque, le pays tout entier célébrait la chute de la plus ancienne dictature de l’Amérique latine, qui dirigeait le pays depuis 1937.
Mais Daniel Ortega et ses guérilleros sandinistes devinrent très tôt omniprésents dans la société civile nicaraguayenne. Six ans après leur arrivé au pouvoir, une nouvelle dictature se dessinait dans le pays dont les échos, hélas, résonnent de plus en plus fort dans l’actualité. Déjà en 1985, certains analystes tiraient la sonnette d’alarme, telle Marie Deketelaerequi se demandait : « le Nicaragua sera-t-il sur la voie du totalitarisme, imposé par un Big Brother sandiniste qui organiserait le quadrillage social de la vie publique et privée, au travail et dans les quartiers ? »1
À présent, quarante-deux ans après une révolution qui lui a permis de rester au pouvoir jusqu’en 1990, Daniel Ortega, président élu depuis 2007, prépare depuis des mois sa quatrième réélection en écartant à droite et à gauche les potentiels prétendants à la présidence. Sept candidats déclarés ont ainsi été emprisonnés ou placés en arrêt domiciliaire depuis mai dernier, parmi lesquels Cristiana Chamorro, fille de l’ex- présidente Violeta Barrios Chamoro (1990-1997). Pour justifier ces mesures répressives, les autorités évoquent la sécurité de l’État en vertu de la « loi de défense des droits du peuple à l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination de la paix ».
Cette loi a été votée par le Parlement en décembre 2020. Un parlement soumis aux desseins présidentiels et qui, en février dernier, a également approuvé une reforme pénale permettant aux autorités de détenir jusqu’à 90 jours les personnes soupçonnées d’un crime (contre trois jours auparavant). En réalité, ce ne sont que des moyens prétendument « légaux » mis en place pour couper à la racine toute velléité de candidature à la présidence. Par exemple, la loi de « défense des droits du peuple », connue sous le nom de « loi guillotine », empêche de se présenter à des élections toute personne que le régime considère comme « traître à la patrie », notamment celles qui « exigent, soutiennent et se félicitent de l’imposition de sanctions contre l’État du Nicaragua. »
Tout a été mis en place pour que Daniel Ortega et sa femme vice-présidente Rosario Murillo restent au pouvoir indéfiniment. De ce fait, en 2014, le président a fait passer une réforme de la Constitution qui met fin au scrutin à deux tours, ainsi qu’à la limitation de deux mandats de cinq ans. Ce qui lui a permis de briguer un troisième mandat en novembre 2016. En ce qui concerne l’élection du 7 novembre prochain, le peuple nicaraguayen aura l’option de choisir entre le couple Ortega-Murillo et les cinq « micros partis » surnommés les « partis moustiques » montés de toutes pièces pour faire figure d’élection démocratique. Comme l’explique la spécialiste du Nicaragua Maya Collombon, ces partis fantômes « ne représentent quasiment rien et tous leurs candidats sont des proches d’Ortega […] Tout l’enjeu pour eux est de ne pas abîmer l’hégémonie sandiniste. » Par conséquent, ajoute l’enseignante-chercheuse à Sciences-Po Lyon, « c’est un scrutin plié d’avance. On est désormais face à une élection qui n’en a que le nom, puisqu’il ne reste aucun parti d’opposition pouvant présenter un candidat, ni même accompagner et surveiller la procédure électorale. »
C’est la dictature annoncée dès l’aube de la révolution sandiniste menée par Daniel Ortega. En effet, le Nicaragua actuel s’explique par le passé : l’économiste Pascal Serres, qui a vécu au Nicaragua de 1976 à 1984 et a collaboré au programme de Réforme agraire, apportait déjà en 1985 un regard visionnaire : « une fois installés au pouvoir, les sandinistes sont devenus les maîtres de l’armée et de la police. Alors n’ont-ils pas été tentés à leur tour de s’imposer par la force à l’ensemble de la population, d’instaurer une nouvelle forme de dictature dans ce petit pays qui n’avait jamais fait l’expérience de la démocratie ? » 2
À l’heure actuelle, Daniel Ortega considère ses opposants comme des « criminels qui cherchent à le renverser avec l’aide des États-Unis ». Ce propos n’est pas tout à fait inexacte : en 2010 et 2020, par l’intermédiaire du programme USAID, Washington a financé des partis politiques, associations et médias d’opposition pour environ quatre-vingt millions de dollars. En outre, le programme « Responsive Assistance in Nicaragua » (RAIN) est destiné à « aider » l’opposition à mettre en place un « régime de transition » en épurant d’abord les forces armées, la police et les jugées progouvernementaux.
C’est dans le contexte des mesures prises contre l’opposition que les États-unis, l’Union européenne et la Cour interaméricaine des droits de l’Homme ont condamné l’administration Ortega. L’Union européenne, quant à elle, vient de sanctionner un de ses fils, sa femme et vice-présidente Rosario Murillo, ainsi que six autres dignitaires du régime pour leur responsabilité dans les « graves violations des droits humains ». Depuis 2018, plus de 130 sanctions ont été adoptées contre des responsables et des proches du président sandiniste pour violation des droits humains. En avril de cette année-là, des milliers de Nicaraguayens descendaient dans la rue pour protester contre la réforme du système de retraite. La répression fut féroce, avec un bilan de 328 morts, des centaines de personnes arrêtées arbitrairement et la fermeture de quatre-vingt-dix ONG militant pour les droits humains.
Eduardo UGOLINI
1. Marie Deketelaere, syndicaliste à la Direction générales des impôts qui a travaillé également sur l’Amérique centrale, dans Le volcan nicaraguayen, Éditions La Découverte, 1985.
2. Pascal Serres, expert à la SEDES, société d’études pour le développement économique et social. Ibid.