Le romancier cubain Leonardo Padura délaisse son enquêteur fétiche pour un roman émouvant et addictif sur le déracinement d’amis cubains, exilés pour la plupart et habités par deux événements traumatisants de leur jeunesse passée à La Havane. Un roman passionnant de la rentrée 2021.
Photo : Editions Métailié
Il y a bien un leitmotiv galopant au long de ce roman dense, un motif décliné de différentes manières par les membres du Clan comme une formule de ralliement désagrégée, empreinte d’appartenance nostalgique et de temps révolu de jeunesse à Cuba, révélatrice d’impuissance désabusée : « Putain, mais qu’est-ce qui nous est arrivé ? » Ce qui leur est arrivé, on le saura vite même si les circonstances seront distillées dans un suspense addictif jusqu’au final. « Deux traumatismes avec leurs mystères lancinants qui, malgré toutes les hypothèses […], n’avaient pas de solutions convaincantes ». Et puis il leur est arrivé aussi un événement comme un tournant, l’ultime fois où ils se sont tous réunis pour les trente ans de Clara le 21 janvier 1990, en début de « Période Spéciale » à Cuba, où « le présent les asphyxiait avec ses pénuries et ses dilemmes douloureux, et l’avenir s’estompait dans un brouillard impénétrable ».
Étaient présents entre autres ce 21 janvier 1990 Elisa qui « était forte, belle, combative, très séductrice, et en même temps prête à flanquer une trempe au premier volontaire », Bernardo l’alcoolique, Dario pour qui « les dieux avaient placé dans ses poches les clés du destin », ou Irving avec « cette peur qui s’était emparée de son âme ». Une galerie foisonnante, bouillonnante, à la fois hétéroclite et homogène dans leur diversité, dont on croisera les protagonistes sur une période allant de 1990 à nos jours, qui tour à tour s’interrogeront sur ce qui leur est arrivé, apporteront leur pierre à la construction de la vérité, révèleront leur histoire personnelle et celles de leurs relations, leur intimité et leur vie sexuelle comme si « la disproportion nationale de la baise » à Cuba les poursuivait malgré tout.
Ils étaient présents en ce jour-là du 21 janvier 1990 à La Havane mais beaucoup d’entre eux se sont exilés depuis. Qu’ils soient désormais aux États-Unis, à Barcelone, à Madrid ou à Toulouse, ils diffuseront aussi en filigrane la part d’eux-mêmes restée sur leurs terres d’origine à l’époque du Clan, en évoquant par exemple leurs nouveaux amis qui ne seront à jamais que des nouveaux, incapables de prendre la place des autres, les vrais, ceux des origines. Tous ces personnages superbement incarnés, le lecteur les découvrira peu à peu, après une première partie où seulement deux jeunes américains font la part belle du roman, deux jeunes dont le hasard les a faits se rencontrer, deux jeunes désormais amoureux qui s’installent à Hialeah.
Adela dont « le sentiment persistant d’attirance pour tout ce qui était cubain avait pris une place exagérée », et Marcos « cette tête brûlée de Marquitos le Lynx— ou Mandrake le magicien ». Marcos, fils de Clara et de Dario. Un jour, il montre à Adela la dernière photo du Clan postée sur Facebook, prise à l’occasion du fameux anniversaire de Clara, restée à La Havane. Voilà pour l’évènement déclencheur. Une photo sur un fil de Facebook qui déploiera un roman fleuve charpenté autour de deux mystères et une résolution addictive, au déroulé tentaculaire et hypnotique, avec en toile de fond l’amitié émouvante sous condition d’exil, et l’histoire contemporaine de Cuba, ce pays « d’où les gens se barrent même par les fenêtres ».
Eric MÉDOUS
Benzine
Poussière dans le vent par Leonardo Padura, traduit de l’espagnol (Cuba) par René Solis, éd. Métailié, 631 p., 24,20 euros.
Le programme de rencontres de Leonardo Padura : Mercredi 1er septembre à 19 h : Librairie Les Champs Magnétiques à Paris / Le samedi 4 et dimanche 5 septembre au festival Les livres sur le quai à Morges en Suisse / Mardi 7 septembre à 19 h à la Maison de la Poésie – Passage Molière à Paris / Mercredi 8 septembre à la librairie Le Square à Grenoble / Jeudi 9 septembre à la librairie Tramway à Lyon (avec Espaces Latinos) / Vendredi 10 septembre à la librairie Ombres Blanches à Toulouse /