Législatives : le gouvernement de Andrés Manuel López Obrador sort affaibli des élections de mi-mandat

Trois ans après son élection à la tête du pays, le surnommé AMLO vient de perdre. Les élections législatives ont eu lieu dans un contexte d’une sanglante violence liée aux cartels de la drogue. C’est le bilan politique et humain d’une campagne qui a laissé plusieurs dizaines de candidats tués. Corruption, impunité, anatomie d’un échec confirmé.

Photo : CNL Mexique

C’était le plus grand scrutin jamais organisé au Mexique. Le dimanche 6 juin, 93 millions de Mexicains se sont rendus aux urnes pour élire 500 députés du Congrès, 15 gouverneurs, plus de 1000 députés locaux et près de 2 000 présidences municipales avec leurs conseils respectifs, soit plus de 21 300 mandats renouvelés. Mais davantage encore que la perte de la « hyperprésidence » d’AMLO, c’est l’extrême violence qui a marqué ces élections législatives. Cinq responsables d’un bureau de vote assassinés, et deux têtes humaines ont été jetées chacune à proximité d’une urne ! C’est le couronnement d’une campagne d’horreur qui, selon un bilan officiel, a vu pas moins de quatre-vingt-dix hommes et femmes politiques assassinés depuis septembre dernier. Vue depuis l’Europe, la vie quotidienne au Mexique compose un scénario difficilement concevable. Pour ce faire, il faut analyser trois facteurs qui expliquent le résultat de ces élections législatives particulièrement meurtrières, reflet d’un chaos social en gestation depuis des décennies.

Primo, au problème de la drogue, de la corruption et de l’impunité, s’est ajouté une crise sanitaire prévisible que le gouvernement aurait pu en grande partie éviter. En effet, le programme social de santé mis en place par l’exécutif révèle les failles de sa politique de réduction de budget, l’« austérité républicaine » au nom de la dite « lutte contre la corruption ». Ainsi en mai 2019, après avoir présenté sa démission au poste de directeur de l’Institut mexicain de sécurité sociale, German Martinez dénonçait « l’essence néolibérale » du gouvernement et la « inhumaine » réduction du budget destiné à la santé : 1,3 milliard d’euros pour le premier trimestre 2019.

« Ces économies dans la santé sont préoccupantes », avait estimé Mariana Campos, chercheuse de Mexico Évalua, avant d’ajouter de façon prémonitoire : « le gouvernement doit évaluer la pertinence de certaines coupes budgétaires et avoir conscience que les conséquences peuvent être graves. » Quatorze mois plus tard, en mars 2020, Andrés Manuel Lopez Obrador déclarait devant les journalistes se protéger du coronavirus à l’aide d’amulettes et de porte-bonheur et, en attendant le pic des contagions vers la mi-mai, le président recommandait à la population de se réfugier dans la foi pour lutter contre le fléau. Pendant ce temps, les cartels de la drogue, notamment celui de son plus illustre représentante, El Chapo Guzman *, apportaient les premiers secours aux plus démunis. A présent, le Mexique, avec près de 225.000 décès, reste le quatrième pays le plus touché de la planète en chiffres absolus (y compris le nombre de contagions)

Secundo, autre point faible de la gestion de l’actuel président et leader de la gauche : il n’a pas atteint son principal objectif de campagne présidentielle, à savoir la lutte contre la corruption. C’est une tragédie nationale qui coûte chaque année près de 10% du PIB. À l’approche du scrutin législatif, la diocèse de Mexico, et plusieurs autorités catholiques mexicaines, ont publié un texte sur la « très compliquée » situation qui découle « d’une série de problèmes historiques que nous n’arrivons pas à surmonter, tels que l’énorme inégalité sociale […], le développement inexplicable du crime organisé qui se répand de plus en plus et provoque partout l’insécurité et la violence et, enfin, la corruption rampante dans tous les milieux. ». Dans le même communiqué, les électeurs ont été mis en garde contre « la propagande politique et la manipulation tentée par beaucoup » qui veulent « tromper » la population.

Or depuis son investiture, en décembre 2018, M. Lopez Obrador n’a cessé de marteler ces mots : « les aides iront directement aux bénéficiaires, il n’y aura plus d’intermédiaires, la corruption, c’est fini ». Cependant, dimanche dernier, dans les urnes, le peuple a exigé res non verba, des effets, des actes, non de paroles. Car malheureusement, malgré les claironnantes annonces démagogiques et opportunistes, le Mexique reste le pays de la corruption et de l’impunité. « Plus de 90% des délits qui ont donné lieu à une enquête restent impunis, les victimes ne recevant aucune réparation et les responsables aucune sanction », rapporte le journal mexicain Animal Politico. Selon le centre mexicain de recherche sur les politiques publiques Mexico Évalua, près de la moitié des quelques deux millions d’enquêtes judiciaires ouvertes pour un délit ne sont pas adressées par le parquet à un juge et sont, dans six cas sur dix, « archivées temporairement », ce qui revient à les classer sans suite. Et, si des suspects sont arrêtés, ils sont libérés dans un cas sur cinq en raison de « vices de procédure ».

Tertio, en ce qui concerne les villes livrées aux barons du narcotrafic, les gangs sèment partout la terreur. Les conditions dans lesquelles la population subsiste languissant, ayant perdu toute espoir de changement de la part de la classe politique, se rapprochent de plus en plus à une situation obsidionale. Une anxiété collective, silencieuse mais croissante, frappe des villes entières assiégées par les cartels de la drogue. Sept États se trouvent particulièrement concernés : Oaxaca, Guanajuato, Veracruz, Guerrero, Morelo, Basse Californie et Jalisco. Une douzaine de cartels sur tout le territoire national imposent leur propre loi, même au sein de la police, sans oublier l’association étroite et réciproquement profitable entre cartels et politique. Sur ce point, Anabel Hernandez, auteure mexicaine du livre Los señores del narco (« Ces messieurs du narcotrafic ») confirme cette sorte de symbiose qui depuis longtemps n’est plus un secret pour personne : les cartels de la drogue, comme ceux de « Jalisco-nouvelle génération », de Sinaloa ou encore de Juarez, « parrainent des candidats ». C’est peut-être là un indice de la vive polémique suscitée, en octobre 2019, par la libération, validée par le président Lopez Obrador sous la menace du cartel de Sinaloa, de Ovidio Guzman, fils d’El Chapo. Six mois plus tard, le même président avait salué, main dans la main, la mère du célèbre baron de la drogue. Un geste qui rappelle les codes bien connus dans les milieux maffieux, en guise de remerciement pour une faveur accordée.

Depuis un peu plus d’une décennie, les politicides ciblés explosent à l’approche des élections, et cela de façon systématique et exponentielle (lors de la campagne présidentielle de 2018, 48 responsables politiques ont été assassinés). Les autorités commencent à parler d’un « parti du crime ». Par exemple, Rosa Rodriguez, chargée de la sécurité et de la protection civile au sein de l’exécutif dénonce ces organisations criminelles qui « cherchent à renforcer leurs opérations en intimidant et en augmentant leur influence politique […] Nous pensons que c’est un véritable parti qui est en lice, le parti du crime, qui cherche à intimider la classe politique et le peuple en général. »

Et pour cause. Dans un discours prononcé en avril 2020, le président mexicain avait envoyé aux narcos un message d’une d’une naïveté déconcertante, (« il faut aimer la vie, la vie est le plus sublime, est une bénédiction. ») et, en s’adressant à ceux qui n’ont pas commis des délits graves, il a assuré : « nous allons vous proposer des alternatives pour que vous puissiez vous réincorporer à la vie publique et être des gens bien, de retour au foyer familial pour que vous soyez heureux, et pour que vous ne vous sentiez pas obligés à faire du ma là autrui ». Depuis cette proposition digne d’un film à l’eau de rose, combien de malheureux narcos envisagent la possibilité de troquer leur kalachnikov contre un outil de travail et une formation professionnelle ?

Lors de la campagne électorale et depuis son investiture, le 1er décembre 2018, Lopez Obrador avait déclaré que son engagement contre le fléau de la corruption et les escadrons du crime organisé resteraient ferme. Trois ans plus tard, on peut se demander qui commande le pays, le président ou les cartels ? Et encore : le Mexique deviendra-t-il une narcocratie ? Andrés Manuel Lopez Obrador a fait du pays « tout entier un otage » du crime organisé, selon les mots du journaliste mexicain Victor Beltri, qui conclut ainsi : « et malheureusement, nous paierons tous la rançon. »

Eduardo UGOLINI

* Joaquin Guzman Loera, alias El Chapo, chef du cartel de Sinaloa, après avoir passé douze ans en prison a échappé à la justice mexicaine : il a été condamné l’an dernier, aux États-unis, à la prison à perpétuité.