Les orages, c’est le titre d’un recueil de nouvelles signé Santiago Craig, jeune écrivain argentin (Buenos Aires, 1978). L’auteur a publié à partir de 2010 deux recueils de nouvelles et de poèmes, (Los juegos en 2012). Ses propositions ont reçu un bon accueil tant en Argentine qu’en Espagne. Les orages figure parmi les cinq finalistes du Prix de la nouvelle Gabriel García Márquez 2018 et a obtenu la première mention du Prix National de Littérature
Photos : L’atinoir
Le livre comporte sept nouvelles et, malgré le titre, on n’y trouve pas de récits tumultueux et de coups de tonnerre. Ce qui fait avant tout l’unité du recueil c’est un singulier travail d’écriture : style dépouillé, phrases courtes, un minimalisme certain dans la description des personnages. Dans la nouvelle qui porte le titre du recueil, on lit : « Je suis né ici, je vis ici avec eux depuis toujours…Ici, il pleut… Ici, le temps dure plus longtemps ». Des descriptions dans un langage précis, un je comme absent, une conscience dissociée de son identité sociale, un contexte historique deviné : tous ces traits ne sont pas sans rappeler ce que Roland Barthes qualifiait comme une « écriture blanche » dans Le degré zéro de l’écriture (1953). Mais le travail de l’auteur ne se résume pas à cette écriture.
Dans un entretien accordé à Luciano Lambertiun, bloggeur argentin, l’auteur confie que l’écriture d’une nouvelle n’est pas mue pour lui par le désir de raconter une histoire mais par un effort pour soutenir quelque chose qui est en train de se passer. Et ce qui arrive, ou pourrait advenir, touche à l’extraordinaire : une menace imminente et diffuse dans la vie réelle ou des perturbations de conscience dans un monde immobile.
La réalité où se situent les nouvelles est plutôt banale mais l’étrangeté est au sein même du réel et les choses familières peuvent devenir méconnaissables et inquiétantes. Dans la courte nouvelle intitulée « Déménagement », la désorientation est à son comble dans cette maison plus grande où le narrateur et sa famille viennent d’emménager. A l’aube, Mina, la fille du narrateur, est assise par terre dans le couloir, serrant son lapin bleu ciel dans ses bras : « Elle me dit qu’elle ne savait pas comment retourner dans sa chambre, qu’elle n’avait pas pu nous retrouver ». Un soir, Mercedes, l’épouse, « dit que ça lui faisait peur d’avoir peur. Peur de la maison. »
La relation aux univers de chacune des nouvelles est caractérisée par une conscience mal ajustée aux situations. Restent des écarts, des fossés, des perceptions erronées, des certitudes écornées, des personnages écartelés, comme enfermés dans une solitude irrémédiable. La métaphore de cette relation au monde pourrait être extraite de la même nouvelle où le narrateur écrit : « Une nouvelle maison apprend à mesurer l’enthousiasme… il y a toujours un centimètre de trop ou un centimètre de moins dans ce que l’on fait. »
Ces sept nouvelles nous disent l’étrangeté du monde sans jamais poétiser de manière emphatique et sans commentaires psychologiques. Pourtant, Santiago Craig le pourrait puisqu’il est poète et psychologue de formation. Ce que nous lisons, de nouvelle en nouvelle, c’est ce que Freud appellerait l’inquiétante étrangeté, « une variété particulière de l’effrayant » et qui réside dans le familier.
Les orages créent un climat, construisent une atmosphère, suggèrent des états de conscience et donnent au lecteur le sentiment que ce qui arrive est parfois familier, parfois étrange et souvent les deux à la fois. Les sensations ne sont pas dites mais suscitées par le tissage d’une écriture usant de procédés narratifs consistants et d’énonciations modestes qui s’appuient sur des moments d’existences familiales et sociales banales. En apparence rien de spectaculaire ne se joue. Pourtant, une pluie fine nous atteint.
Depuis la parution du recueil Les orages (Las Tormentas, Entropia, 2017) Santiago Craig a publié en espagnol “ 27 manières de tomber amoureux » (Factotum, 2018), son troisième recueil de nouvelles et a publié un premier roman, « Castillos », non encore traduit en français.
Il faudra suivre cet auteur qui nous conte le désarroi, de manière originale et comme allant de soi.
Maurice NAHORY
Les orages de Santiago Craig, traduction Jacques Aubergy (Editions l’atinoir 2020, Marseille), 177 p., 14 €.