Si en ce début d’été 2020 il fallait ne lire que quelques pages de cet ouvrage, ce serait le chapitre intitulé Quelques conclusions – Les habitants de Claustropolis. En une demi-douzaine de pages, Juan Villoro, il y a dix ans (date de la publication en espagnol), décrivait avec une étonnante précision la période dont nous sommes en train de sortir, avec des phrases telles que : « Les virus, les tremblements de terre, les cendres volcaniques ne sont pas des misères locales »…
Photo : L’Atinoir
Les ravages de la mondialisation sauvage, l’impréparation des responsables, les risques nouveaux créés par les technologies qui oublient l’humain avec pour conséquence directe la souffrance humaine, tout est dit. Mais il ne faut pas lire que le chapitre en question de ce livre passionnant, traitant du tremblement de terre dont l’épicentre était la ville chilienne de Concepción, un livre écrit par un Mexicain ayant lui-même vécu le séisme qui a ravagé Mexico en 1985.
Le 27 février, à 3h30 du matin, Juan Villoro se trouve à Santiago à l’occasion d’une rencontre autour de la littérature de jeunesse. Bien qu’il ne découvre pas le phénomène, il est stupéfié par son ampleur. À 3h34, il se retrouve par terre, rejeté de son lit d’hôtel, dans le centre de Santiago.
Ce récit, fait de fragments, de témoignages, d’impressions, montre le chaos vécu, les scènes surréalistes, les personnes surprises en pleine nuit qui se rencontrent dans la rue avec les vêtements les plus bizarres, la femme qui se sent incapable de quitter son appartement sans s’être douchée et qui, ne pouvant le faire dans sa salle de bains dévastée, demande poliment à ses voisins de lui laisser l’usage de la leur, la panique des uns, la sérénité de beaucoup face à la fatalité. Juan Villoro ne peut éviter la comparaison, le Chili est bien mieux préparé que le Mexique où la corruption a empêché une reconstruction fiable après 1985 même si, curieusement, les immeubles chiliens construits après 1990 ont moins bien résisté que les plus anciens : le relâchement des constructeurs…
Mais La peur dans le miroir est bien plus qu’une suite d’anecdotes. Toute rupture avec la norme peut être l’occasion de poser des questions fondamentales, et Juan Villoro ne s’en prive pas, autour de la relation sociale essentiellement, les pillages évoqués, l’indifférence parfois : si j’ai survécu, je préfère, inconsciemment, ne pas penser aux milliers de morts et de blessés pourtant si proches : réaction naturelle et saine d’une certaine façon, peut-être difficile à accepter depuis l’extérieur, dans un confort de sécurité.
Il ne manque même pas le prolongement mystique, à partir d’un roman allemand, Le tremblement de terre au Chili, paru en 1807, qui posait la première question qui venait à l’esprit au début du XIXème siècle : un séisme peut-il être perçu comme un châtiment ? De nos jours, la pensée en général a évoluée, cela permet à notre auteur d’ouvrir une réflexion qui efface (religion mise à part) le temps écoulé entre les deux catastrophes, celle du récit et celle de 2010, les réactions humaines sont très voisines, entre solidarité et mesquinerie, et ce sentiment de culpabilité du survivant, à la fois compréhensible et au fond injustifié.
Juan Villoro, qui aime à pratiquer à peu près tous les genres de la narration, réussit avec cette Peur dans le miroir un livre multiple, témoignage, récit, reportage, essai littéraire, autobiographie, sur un sujet qui sera, hélas, toujours d’actualité.
Christian ROINAT
El miedo en el espejo / La peur dans le miroir, de Juan Villoro, édition bilingue, traduit par Jacques Aubergy, éd. L’Atinoir, Marseille, 296 p., 14 €.