Le romantisme des jeunes latino-américains qui venaient « étudier » à Paris, découvrir la « vraie » vie et ses émotions interdites dans leurs familles bourgeoises peut-il se marier avec les dures réalités de leurs pays d’origine, où régnaient souvent inégalités criantes et dictatures sanglantes ? C’est un dilemme souvent occulté par ces jeunes hommes (les jeunes filles restant bien sûr dans le giron familial) que Mauricio Electorat met brillamment en lumière dans ce nouveau roman. Son roman sera dès septembre en librairie et l’auteur est attendu au prochain festival Belles Latinas.
Photo : Ed. Métailié
Emilio Ortiz, 27 ans, appartient à ce que l’on appellerait une « bonne famille », installée au Chili depuis le début du XXe siècle, catholique et tellement bien pensante qu’elle a bien été obligée de soutenir activement le général Pinochet quand celui-ci s’est consacré corps et âme à remettre le pays dans le droit chemin. Emilio a préféré aller terminer ses études à Paris. Ses études qui se prolongent, il ne roule pas sur l’or (il a miraculeusement déniché une place de veilleur de nuit dans un petit hôtel de Montparnasse) mais l’envie de rejoindre le cocon familial ne le taraude pas.
À Paris, Emilio mène la vie des étudiants latinos descendants de Cortázar (la lecture récurrente de Marelle est obligatoire pour eux !) ou de Bryce Echenique. Lui, il vivote grâce à ses trois nuits par semaine payées par l’hôtel. Ses rapports avec sa famille sont extrêmement limités et seraient nuls si, de temps en temps, la sœur de sa mère, la tante Amalia, ne lui donnait pas des nouvelles. La nouvelle du brusque divorce de ses parents, son père s’étant amouraché d’une femme de trente ans plus jeune que lui, le pousse à faire le voyage jusqu’à Santiago.
La situation qu’il trouve là-bas est inquiétante pour tous, dans des proportions différentes.
Mauricio Electorat réussit un très bel équilibre entre le personnel et le national, entre les liens familiaux et les liens politiques (sujet qui reste brûlant, au Chili plus qu’ailleurs), entre l’humour et le drame. Dans la famille, chacun est à sa place : le père est un sympathisant du dictateur à la retraite et un macho classique, la mère est triste mais reste digne (ou du moins, essaie) et les frères et sœurs sont proches, comme on doit l’être dans une famille unie, mais légèrement indifférents. Emilio, peu à peu, en découvre plus sur le passé de son père. A-t-il été manipulé, timide, volontaire ou un soutien inconditionnel ?
Une des questions posées est celle de savoir si l’on peut impunément fouiller dans le passé d’êtres proches ou que l’on qu’on croit proches, petite amie de passage ou géniteur. Emilio trouve les moyens de le faire, mais n’a-t-il pas tort ? La forme en puzzle de la dernière partie de l’œuvre est particulièrement brillante à ce propos : manquera-t-il une pièce, alors qu’il s’attaque aux secrets des services de renseignement de Pinochet, presque aussi performants que le Mossad ?
Mauricio Electorat maîtrise parfaitement non seulement son sujet, ou, plus exactement ses sujets, mais aussi la manière de les présenter à son lecteur qui passe de l’humour de l’étudiant fauché à l’angoisse de découvrir ce qu’on ne devrait jamais découvrir. Le lecteur est tenu en haleine par la volonté de posséder une vérité qui, à la fin de la lecture, n’a pas fini de nous questionner. Que peut-il tirer de la révélation qui lui a été faite? Dit d’une autre façon, quand on referme ce roman, on n’a pas terminé d’y repenser.
Christian ROINAT
Petits cimetières sous la lune de Mauricio Electorat, traduit de l’espagnol (Chili) par Mauricio Electorat, éd. Métailié, 304 pages, 21€. Mauricio Electorat en espagnol : Pequeños cementerios bajo la luna, ed. Alfaguara / La burla del tiempo, ed. Seix Barral. Mauricio Electorat en français : Sartre et la Citroneta, éd. Métailié.