À la mort de son père, la narratrice, en triant ses papiers, découvre une correspondance qui s’est amorcée au début du XXe siècle et s’est prolongée sur une vingtaine d’années, soigneusement rangée dans un cahier bleu intitulé Patagonie et signée par un certain Louis Capelle. Elle sera à Belles Latinas en octobre prochain.
Photo : La Dépêche du Midi
Tout commence par un discret passage de frontière. Louis, plus très jeune, pas riche du tout mais pas franchement pauvre, ne tient pas, de toute évidence, à être repéré. Il s’installe dans une modeste pension de Puigcerda, en Catalogne espagnole. On est en mars 1905. Il embarque, depuis Barcelone, pour l’autre bout du monde. Il a une quarantaine d’années et une mystérieuse dette l’a obligé à s‘éloigner de la terre natale, son honneur et celui de sa famille étant en cause. Pendant des années, les lettres envoyées d’Argentine sont le lien entre Louis et son frère Lucien. Mais, même à son frère, on ne peut pas tout raconter : les humiliations, les misères banales et, pire encore, la misère… La narratrice le fait pour nous : elle bouche les trous, complète le récit touchant d’une installation qui baigne dans l’espoir et qui cache la désespérance. Cependant, il y a des trous que ne pourra combler, notamment lorsqu’il n’y a pas d’échange de lettre pendant une dizaine d’années : qu’imaginer sur ce qu’a été la vie de l’exilé pour expliquer cette absence de courrier ?
Poussé par la misère, Louis tente de gagner la Terre promise, ou au moins la terre d’espoir, la Patagonie. En train, à pied, ce sont sept ans d’errance, d’une quête à demi consciente : il lui faut retrouver l’Italien qui a été le premier à l’accueillir, sans rien lui demander, à son arrivée à Buenos Aires. Lui qui ne s’intéresse pas à l’histoire de ce pays (puisqu’il n’est le sien que provisoirement) et encore moins à la politique est doucement happé par les conflits sociaux qui ont marqué les années précédant la Première Guerre mondiale et dont l’Argentine profiterait abondamment pour enrichir une partie de sa population.
On a rarement montré avec autant de délicatesse et de justesse un déracinement forcé. L’eldorado espéré n’existe évidemment pas, ce qui intéresse Michèle Teysseyre ce sont surtout les réactions de cet homme entre deux âges, ses liens à la fois ténus et solides avec son hameau français et ceux qui, malgré tout, se créent dans ces nouveaux territoires si durs, si prometteurs.
Michèle Teysseyre traite avec la même délicatesse du mystère autour de la fuite de Louis que de celui autour de ses rapports avec le reste de sa famille. Pour montrer l’évolution de Buenos Aires, de son port et de sa population à cette époque où naît la ville que nous connaissons, elle préfère l’évocation au réalisme direct et elle a bien raison : on ressent ces changements et ils nous apparaissent évidents. La douce poésie de son style est à l’image du personnage principal : pour l’une comme pour lui, il est impossible de ne pas ressentir ce genre d’empathie que l’on peut éprouver pour le passant, croisé quelques secondes, dont on sait qu’on partage avec lui l’essentiel.
On est à mille lieues de l’épopée : c’est la vraie Argentine qui vit sous nos yeux, la beauté des gens modestes qui, grâce à une Française, un siècle plus tard, peuvent acquérir le statut de héros de roman. Un héros, oui, parce que, discrètement, il a su tenir sa place, unique, entre la France et l’Argentine.
Christian ROINAT
Patagonie de Michèle Teysseyre, éd. Serge Safran, 208 pages, 17,90 €. Le livre (e-book) peut être commandé sur le site de Serge Safran ici. Sa sortie en librairie est prévue pour le 19 juin.