Fin novembre 2014, dans un village quelque part au Salvador, on enterre un jeune homme de 31 ans qui laisse une « veuve » encore plus jeune et deux fillettes. Miguel Ángel Tobar a été tué de trois balles. Il était l’auteur de plus de cinquante « exécutions ».
Photo : Métailié
Les deux frères Martínez, dont l’un est journaliste et l’autre anthropologue, se sont plongés pendant de longues années dans une enquête aux multiples ramifications pour tenter de clarifier les rapports entre gangs répandus un peu partout, entre États-Unis et Amérique centrale, entre la délinquance et la pure violence. On savait déjà certaines choses que ce document met à jour, on se doutait d’autres informations, sans oser y croire, on en découvre aussi.
Ainsi on saura comment Ronald Reagan, l’ancien faux cowboy qui dirigea le pays le plus puissant du monde (à l’époque), a ouvert très imprudemment une boîte de Pandore. On verra l’inanité de toute procédure légale dans un pays aussi corrompu que le Salvador, ce qui n’empêche pas que certains policiers provinciaux y exercent honnêtement leur métier. On assistera à des rixes sans pitié entre garçons partageant la même origine, la même culture et écrasés par le système appelé libéral justement par Reagan. On se promènera sur un Hollywood Boulevard espace des gangs et des mafias, qui n’a rien à voir avec l’image qu’on nous en a donnée, mais qui est bien réel.
En quittant les États-Unis pour l’Amérique centrale, on verra aussi que tout est lié : les armes achetées au temps de la Guerre froide se sont reconverties en outil de domination entre gangs, la guerre idéologique étant devenue obsolète, et c’est cela qui a fait du Salvador le pays le plus violent du monde. Parfois des adolescents, élèves de collèges réputés, forment un groupe pour sortir de leur routine : un peu d’herbe, de la musique et de la danse, et très vite on passe à la violence contre un groupe rival. L’engrenage est lancé.
Peu à peu, les deux auteurs dressent le portrait de ce jeune homme hyper violent depuis très loin en arrière, son environnement, très peu favorable, son quartier, son pays, et sa chute. Son propre témoignage est le centre du livre, il a été vérifié, croisé par de multiples entretiens avec d’autres membres des gangs, des voisins, des policiers.
Ce livre, essentiel pour découvrir de l’intérieur la violence endémique du Salvador (dont l’autre face sociale, celle de la société du « haut », est superbement montrée par Horacio Castellanos Moya, dont La mémoire tyrannique vient de paraître, chez Métailié aussi), aurait gagné en clarté en se concentrant sur les gangs locaux, ceux du Salvador. La partie nord-américaine apporte une vision intéressante, mais dont les rapports avec Miguel Ángel Tobar, El Niño, sont très lâches. Il n’en est pas moins un document marquant à mettre en parallèle avec le terrible 492 de Klester Cavalcanti (toujours chez Métailié).
Tueur à de multiples reprises, trahissant plusieurs fois, les uns et les autres, fuyant, n’ayant jamais acquis la gloire ni la fortune, El Niño aura eu la vie la plus misérable, constat que font pour lui les deux auteurs et leurs lecteurs. Pour lui, cela aura été une vie comme une autre, sans plus, dans le Salvador du XIXe siècle, le pays le plus violent au monde.
Christian ROINAT
El Niño de Hollywood. Comment les USA et le Salvador ont créé le gang le plus dangereux du monde, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, éd. Métailié, 336 p., 22 €. Óscar et Juan José Martínez en espagnol :El niño de Hollywood : una historia personal de la Mara Salvatrucha, ed. Debate, Barcelona.