Le 6 août 2019, s’est tenue à Lima une conférence internationale sur le Venezuela. En l’absence du Venezuela et du Secrétaire général de l’ONU, la cinquantaine de gouvernements présents a travaillé sous la tutelle du Secrétaire au commerce extérieur des États-Unis, Wilbur Ross, et du Conseiller à la Sécurité extérieure, John R. Bolton. Non pour chercher à désamorcer la crise vénézuélienne, mais au contraire pour inciter les présents à soutenir un changement de régime contraint par la force des sanctions économiques.
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La méthode, celle d’un cercle d’amis Facebook, reflète l’aveuglement croissant aux plus hauts sommets des États, permis par les nouvelles technologies. Incapables d’admettre et de traiter en conséquence les crises issues de convictions opposées, oublieux des diplomaties de la guerre froide. Unilatéralité, conduite par le plus fort du groupe d’amis, les États-Unis, réactivant ainsi de façon insolite une pratique de l’ingérence impériale théorisée en 1904 par un président républicain, Théodore Roosevelt.
Le président des États-Unis de 1901 à 1909, 1904, Théodore Roosevelt Jr, a été effacé des mémoires collectives. Franklin D. Roosevelt, élu en 1932, réélu en 1936, 1940 et 1944, a en effet marqué positivement et durablement les esprits, dans son pays comme dans bien d’autres. Théodore Roosevelt Jr mérite pourtant plus qu’un regard distrait dans la liste des Chefs d’État nord-américains. Le 6 décembre 1904, en effet, il a donné à la doctrine Monroe, une dimension nouvelle. Au point que bien souvent on attribue à la déclaration faite par le président James Monroe devant le Congrès des États-Unis le 2 décembre 1823, les vertus et les vices qui sont bien davantage ceux apportés sous forme de corollaire par son lointain successeur, Théodore Roosevelt.
Que dit la Doctrine Monroe ? Elle énonce un interdit aux pays européens de la Sainte Alliance. Les États-Unis s’opposeront à toute tentative d’ingérence extérieure sur le continent américain, avec les nouveaux pays indépendants des Caraïbes et d’Amérique latine. Les vainqueurs européens des guerres napoléoniennes envisageaient en effet de permettre à l’Espagne de reprendre possession de son empire américain, et peut-être à la France monarchique de reconquérir Saint-Domingue.
Le corollaire ajouté par Théodore Roosevelt à la Doctrine Monroe en 1904, est en revanche un énoncé de diplomatie guerrière unilatérale. Les États-Unis se réservent selon ce document un droit unilatéral d’intervention en Amérique latine, chaque fois qu’ils estimeront que le droit commercial et économique, tel qu’il est interprété par Washington, n’est pas respecté par leurs voisins du sud. Cet acte politique, a permis de légitimer une cascade d’interventions extérieures, à Cuba, en Haïti, au Mexique, au Nicaragua, à Panama, en République Dominicaine, au Salvador.
Suspendu en 1934 par Franklin D. Roosevelt, le corollaire Roosevelt, a été oublié pendant les années de guerre froide. La défense de valeurs morales, menacées par le communisme soviétique, a alors servi de trousse morale justifiant les aventures extérieures tous azimuts. Les unes et les autres étant malgré tout couvertes soit par les Nations-Unies, soit par les pays alliés de l’Alliance atlantique ou des coalitions de circonstance.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’unilatéralisme a repris des couleurs. Le président George Bush Jr en a livré la doctrine, en septembre 2002. Toute menace contre la sécurité des États-Unis sera traitée le plus en amont possible, et donc le cas échéant de façon préventive. Doctrine mise immédiatement en pratique en 2003 contre l’Irak de Saddam Hussein.
Les travaux pratiques s’étant révélés au minimum discutables, la présidence Obama avait fait le pari de l’influence pour défendre les intérêts de son pays. Les armes de la diplomatie au sein des institutions internationales avaient redonné des couleurs au multilatéralisme. La victoire aux présidentielles de 2016 d’un républicain «atypique», Donald Trump a brutalement changé la donne.
Les vertus supposées de «l’Amérique d’abord», mot d’ordre de sa campagne, ont été appliquées à la lettre par le nouveau chef d’État. Il a «libéré» son pays de tout engagement extérieur, perçu comme contrainte insupportable. Les États-Unis ont quitté l’UNESCO, refusé de ratifier l’Accord de Paris contre le réchauffement climatique. Ils se sont retirés du Traité Trans-Pacifique, et bloquent le fonctionnement de l’OMC.
Plus préoccupant pour le reste du monde, les relations bilatérales font l’objet d’une lecture répondant aux critères du corollaire Roosevelt de 1904. Tout pays jugé par Washington comme «mauvais joueur», c’est à dire tirant un avantage commercial, migratoire ou autre dans sa relation avec les États-Unis, est menacé de sanctions douanières et d’isolement économique. Chine, Corée du Nord, Colombie, Cuba, Iran, Mexique, Russie, Turquie, Venezuela, ont été tour à tour ciblés et soumis à la question tarifaire.
Donald Trump a de foucades verbales, en violences tarifaires, apporté une touche personnelle au Corollaire Roosevelt. Tout pays, toute entreprise, maintenant des relations économiques avec les États qualifiés de «canailles» par les États-Unis s’exposera à des sanctions financières. Message bien compris par une cinquantaine de gouvernements qui ont accepté de passer sous les fourches caudines de cette règle internationale imposée par le plus fort, en assistant à une conférence internationale visant à organiser la chute de la Maison Maduro au Venezuela.
Cette «nuit du 6 août», sanctionnant les privilèges et la raison du plus fort, au mépris du multilatéralisme, de l’ONU, du dialogue et de la négociation pour trouver une solution aux crises internationales, est authentiquement, Historique.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY