On le sait bien, la littérature n’a pas de frontières. Lisa Ginzburg, philosophe, traductrice (de Shakespeare, entre autres) et journaliste, née en Italie et exerçant en France, raconte une histoire d’amour, de passion et de malheur avec un danseur brésilien. L’autobiographie n’est pas loin, mais Au pays qui te ressemble est un roman, parfaitement écrit, élégant et poignant et l’une des meilleures descriptions du Brésil provincial, quotidien, vivant et étouffant.
Photo : Sophie Bassouls/Éditions Verdier
La narratrice, une Italienne qui travaille en France pour des chaînes de télévision, amoureuse absolue mais lucide de Ramos, un danseur brésilien de candomblé, va à la rencontre de la famille, du quartier, du pays de l’homme qu’elle aime. Pedra Forte, la favela poussiéreuse de son enfance, a façonné le jeune garçon qui a grandi parmi ses neuf frères et sœurs dans l’ombre de la religion afro-brésilienne. Des mères, il en a eu plusieurs, Yvonne, la «vraie», débordée avec ses dix enfants, Maria, la sœur aînée qui avait un temps remplacé, plus qu’aidé, Yvonne, et Helena, mãe do santo, espèce de prêtresse du candomblé à qui Yvonne avait confié l’enfant qui montrait des dons divers qui se confirment plus tard.
La jeune femme subit une véritable fascination pour Ramos et autant pour son univers, un pays débordant de vitalité dans lequel la mort n’est jamais éloignée. Tout est compliqué pour elle, cette découverte multiple, les quartiers, les gens, la famille du mari, les façons de vivre, et puis sa situation : au cours de plusieurs séjours toujours trop brefs, elle n’est pas seulement dans le pays de son mari pour des raisons personnelles, elle doit en même temps préparer un futur documentaire sur le frevo, une forme de samba. Comment trier dans tout cela, et faut-il trier ?, se demande-t-elle. Ramos se montre souvent fuyant quand il est dans son milieu, c’est ce qu’elle ressent, mais elle-même est-elle naturelle ? Il n’est plus du tout le même homme qu’en Europe. Qu’il est difficile d’aimer, dit la chanson canadienne. Oui, mais elle veut aimer Ramos. Y parviendra-t-elle ?
En parlant de la famille de Ramos, elle dit qu’elle souhaite rester neutre, «être à l’extérieur, à condition de rester à l’intérieur», sans même voir la contradiction. Et elle agit de la même façon avec le pays tout entier : malgré son honnêteté, elle sera toujours une Italienne amoureuse perdue dans un univers qui n’est pas le sien.
Elle vit plongée dans les sensations et se demande tout le temps comment les transposer : voilà peut-être la grande réussite de ce roman, transposer une cruelle réalité, c’est justement ce qu’elle fait pour nous.
Comment se délite un amour-passion, lentement, par des riens qui s’ajoutent les uns aux autres, d’une féroce crise de jalousie injustifiée à de longs moments d’apaisement, voilà ce que montre Lisa Ginzburg, avec énormément de sensibilité mais sans la moindre mièvrerie.
Je le disais, on voit bien, dans Au pays qui te ressemble l’universalité de la littérature : aux manières de vivre, au Brésil et en Europe s’ajoute une grande richesse de thèmes (mieux vaut ne pas en dire plus), Lisa Ginzburg passe de l’un à l’autre avec élégance pour réussir un roman profond et émouvant.
Christian ROINAT
Au pays qui te ressemble de Lisa Ginzburg, traduit de l’italien par Martin Rueff, éd. Verdier, 224 p., 19,50 €.
Lisa Ginzburg est née en 1966. Elle vit et travaille à Paris. Au pays qui te ressemble est son premier roman traduit en français.