Quelle joie de retrouver Mario Conde, l’ex-policier qui vit à La Havane, dont les enquêtes nous avaient aidés à connaître une ville attachante et malade, vivante pourtant, lumineuse et chaude, gangrenée par la misère et la corruption mais qui tient bon. Mario Conde se voit vieillir : encore un mois et il aura 60 ans… Est-on vieux à 60 ans ? La question, terrible pour lui, est mineure, en comparaison de celle qu’il aura à résoudre.
Photo : éditions Métailié/EITB
Un de ses anciens compagnons de lycée prend contact avec lui : il vient de se faire détrousser par celui qu’il croyait être un petit ami fiable et fidèle, mais qui n’était qu’un gigolo. Meubles et bijoux ont disparu avec une sculpture ancienne à laquelle il tenait beaucoup.
Les premiers épisodes de la série Mario Conde étaient brefs, la résolution du mystère allait bon train, toujours complétée par des remarques sur l’état de l’île au moment où le régime castriste donnait des signes de faiblesse, ce qui faisait leur richesse. Cette fois, Leonardo Padura prend son temps.
La Havane, en 2014, l’époque de l’enquête, est l’un des centres du roman et donne lieu à de longues et très impressionnantes descriptions d’un coin de rue dans le quartier historique ou dans un des bidonvilles qui ont poussé près de là depuis les années 1990. La maturité de Mario Conde, qui reste le double de Padura, partageant même avec lui sa date de naissance, lui ‒leur‒ permet de donner un avis éclairé sur la Révolution cubaine, son évolution et ses résultats contrastés. Tous les deux, protagoniste et auteur, sont toujours aussi clairvoyants et honnêtes par rapport à ce qui les entoure.
La recherche de Mario Conde n’est pas pour autant négligée. Où sont passés les bijoux qui ont potentiellement une jolie valeur ? Où est passée surtout la statue de la vierge dont on n’arrive pas à connaître l’origine de façon certaine ? Mais là, le narrateur se dissocie du personnage, il en sait bien plus que lui. Ayant bénéficié, depuis Les Brumes du passé (la dernière apparition de Mario Conde), de la double expérience de L’Homme qui aimait les chiens et de Hérétiques, romans purement historiques, il va fouiller dans un passé espagnol ou catalan (la statue est-elle d’origine catalane ou andalouse ?) et remonte à l’époque de la guerre civile jusqu’au Moyen Âge.
Le double documentaire accompagne alors la quête de la statue. La description d’une ville croulant de plus en plus sous la misère, pas seulement dans ses bidonvilles, mais conservant malgré tout quelques oasis de luxe comme les diverses résidences des collectionneurs d’art, alterne avec une évocation précise et détaillée des croisades, des origines diverses des images qualifiées de saintes puis de miraculeuses.
La lenteur de l’action et l’abondance de la partie historique peuvent surprendre le lecteur qui a fait de Mario Conde son proche depuis des années. Leonardo Padura a voulu aller au fond des choses, le curieux chapitre d’autocommentaire le confirme.
La Transparence du temps, nouvel épisode de la série des Mario Conde, permet en tout cas de retrouver un univers que Leonardo Padura nous a rendu familier, enrichi cette fois d’incursion dans un passé lointain, et de refaire un bout de route avec des personnages amis à jamais.
Christian ROINAT
La Transparence du temps de Leonardo Padura, traduit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zayas, 448 p., 23 €. Leonardo Padura en espagnol : ses œuvres ont été éditées en Espagne par Tusquets. Leonardo Padura en français, chez Anne-Marie Métailié.
Leonardo Padura est né à La Havane en 1955. Diplômé de littérature hispano-américaine, il est romancier, essayiste, journaliste et auteur de scénarios pour le cinéma. Il a obtenu le Prix Café Gijón en 1997, le Prix Hammett en 1998 et 1999 ainsi que le Prix des Amériques Insulaires en 2002. Leonardo Padura a reçu le Prix Raymond Chandler 2009 pour l’ensemble de son œuvre. Il est l’auteur, entre autres, d’une tétralogie intitulée Les Quatre Saisons qui est publiée dans une quinzaine de pays. Ses deux derniers romans, L’Homme qui aimait les chiens (2011) et surtout Hérétiques (2014) ont démontré qu’il fait partie des grands noms de la littérature mondiale.