L’histoire et la petite histoire se mêlent dans ce nouveau roman du Mexicain Antonio Ortuño, dont La file indienne avait attiré notre attention en 2016. Le Mexique de la fin du XXe siècle jusqu’à l’époque contemporaine, puis vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Espagne des années 1920, au moment de la dictature de Primo de Rivera ou de la guerre civile constituent le fond de ce récit multiple.
Photo : sinembargo.mx/Christian Bourgois
La première scène nous plonge dans un enchevêtrement de passions, de jalousies et de petits trafics. On est à Guadalajara en 1997. Tout s’éclaircit très vite, et très vite on comprend qu’on est loin des hauteurs de l’Olympe : les trafics minables autour du syndicat des cheminots sont vraiment pitoyables, comme les amours dérisoires et les jalousies qui en résultent mais qui pourtant se terminent en hécatombes.
L’ambiance qui règne parmi les Espagnols des années 1920 n’est pas plus noble. Les luttes politiques s’accompagnent davantage d’insultes personnelles que de querelles idéologiques, même si elles sont bien présentes aussi. C’est à cette époque que se font et se défont des relations personnelles avec comme toile de fond les grands drames qui se préparent, la guerre civile et quarante ans d’une dictature féroce. Les inimitiés qui naissent là ne s’éteindront pas. On change d’atmosphère en passant de Madrid bombardée à Guadalajara menacée par les violences. La vision par un Latino-américain d’une Espagne dominée par le fascisme est assez différente de celle d’un lecteur européen, plus habitué aux versions opposées, celle «officielle» du temps de Franco et celle, plus «historique», proposée par les chercheurs extérieurs au franquisme.
On change d’ailleurs constamment d’atmosphère, les genres littéraires se mêlent, cela pourrait ressembler à une saga, l’histoire de trois générations d’une famille, cela pourrait être un roman historique, et c’est un parfait thriller, un roman sur la violence quotidienne. La superposition de ces diverses couches fait la richesse et crée une belle originalité, ce qui fait ressortir le fond de ce qu’a voulu montrer Antonio Ortuño : la complexité, faite d’un empilement de paradoxes, des relations ente le Mexique et l’Espagne, la mère qui a apporté la destruction, les sentiments d’infériorité imposés, subis pendant des siècles, qui remontent à Cortés. Éternelle question : de qui descendent les Mexicains ? À qui doivent-ils leur identité ? Cette identité revendiquée existe-t-elle ? Désir et aversion ne s’ajoutent pas l’un à l’autre, ils se confondent. Méjico, qui se lit comme un bon roman noir, prouve qu’action et réflexion profonde ne sont pas ennemies, bien au contraire.
Christian ROINAT
Méjico de Antonio Ortuño, traduit de l’espagnol (Mexique) par Marta Martínez Valls, éd. Christian Bourgois, 256 p., 18 €. Antonio Ortuño en français : La file indienne, éd. Christian Bourgois, 240 p., 18 €.
Né près de Guadalajara (Mexique) en 1976, Antonio Ortuño est considéré comme l’un des écrivains mexicains les plus prometteurs. Auteur de plusieurs romans lui ayant valu différentes distinctions ainsi que de recueils de nouvelles, Ortuño s’intéresse surtout à l’actualité politique de son pays. L’ensemble de ses récits porte sur la corruption ou la tension qui règnent au Mexique. (Édition Christian Bourgois)