La crise se poursuit au Nicaragua. Les négociations restent très difficiles entre l’opposition et le gouvernement, et le pays s’enfonce dans une spirale de violence, avec une recrudescence des combats de rue entre milices paramilitaires et opposants au régime de Daniel Ortega.
Photo : Marcha de las flores/T13
L’opposition nicaraguayenne a appelé à une grève générale le jeudi 14 juin, afin de faire pression sur le gouvernement du président Daniel Ortega, pour qu’il reprenne le dialogue, et mette fin aux violences qui ont fait 220 morts en deux mois de protestations. «Ce sera une grève civique et pacifique qui touchera tout le pays et toutes les activités économiques, à l’exception des services vitaux et de base», avait indiqué dans un communiqué l’Alliance citoyenne pour la justice et la démocratie, qui regroupe des étudiants, des chefs d’entreprise et des représentants de la société civile.
Reprise du dialogue le 15 juin
Cette grève a effectivement poussé Ortega à la reprise du dialogue, le 15 juin. Contre toute attente, un accord surprise y a été conclu entre le gouvernement et l’opposition, en autorisant des observateurs des droits de l’homme à venir enquêter sur les violences perpétrées depuis deux mois. En échange, les représentants de l’opposition avaient accepté une demande clef du pouvoir du président Daniel Ortega : un plan visant à lever les blocages qui entravent les routes pour empêcher les forces anti-émeutes de passer.
Suspension du dialogue le 16 juin
Mais le 16 juin, huit personnes ont été tuées à Managua. Six des nouvelles victimes étaient des membres d’une même famille dont le domicile a été incendié par un groupe d’hommes encagoulés, accusé par l’opposition d’être soutenu par la police, qui ont lancé un cocktail Molotov. Une femme et un enfant ont survécu au sinistre mais ont été grièvement blessés en se jetant dans le vide depuis un balcon. Le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, a dénoncé sur Twitter un «crime contre l’humanité qui ne peut rester impuni». Ce drame a été condamné aussi bien par l’opposition que par le gouvernement, qui s’en sont rejetés mutuellement la responsabilité au moment où leurs représentants renouaient les fils d’un fragile dialogue.
Les deux parties ont suspendu leurs discussions le soir même, en annonçant qu’elles les reprendraient le lundi 18 juin. Elles devaient alors examiner une proposition formulée par l’Église catholique –qui joue dans cette crise le rôle de médiateur– prévoyant d’organiser des élections générales anticipées en mars 2019, soit deux ans avant l’échéance prévue, mais également une réforme constitutionnelle qui entrerait en vigueur dès cette année et empêcherait le chef de l’État de briguer un nouveau mandat. Ce dernier s’est dit prêt à s’orienter vers une démocratisation du pays, mais n’a pas dit s’il consentirait à écourter son mandat, valable théoriquement jusqu’en janvier 2022. «Nous réitérons notre volonté totale d’écouter toutes les propositions entrant dans un cadre institutionnel et constitutionnel», a-t-il seulement commenté.
Reprise des négociations le 18 juin, interrompues le soir même
Encore une fois, la Conférence épiscopale du Nicaragua a suspendu le soir du 18 juin le dialogue, exigeant que le gouvernement tienne ses engagements et invite les organisations internationales de défense des droits de l’homme dans le pays. «Quand le gouvernement nous enverra une copie de ces invitations et que les organisations internationales nous enverront leur réception», les groupes de travail et la session plénière seront appelés à reprendre, ont déclaré les évêques. Le non-respect de cet accord a contraint l’Alliance citoyenne pour la justice et la démocratie, de l’opposition, à quitter la table des négociations, où les questions électorales, de justice et de sécurité devaient être abordées.
Mais les jours se suivent et se ressemblent au Nicaragua où les autorités continuent de durement réprimer les protestataires et, le 19 juin, c’est la ville de Masaya, l’épicentre en quelque sorte de cette contestation, qui a subi une forte répression. D’après l’Association nicaraguayenne pro-droits de l’homme, une ONG locale, plusieurs personnes auraient succombé à des tirs et de nombreux manifestants auraient également été blessés.
Reprise du dialogue le 25 juin
Enfin, après plusieurs jours d’incertitudes, les représentants de l’Union européenne, du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) et de la Commission inter-américaine des droits de l’homme (CIDH) ont confirmé, le mercredi 20 juin, qu’ils avaient été conviés à enquêter sur la situation nicaraguayenne. Ainsi, malgré un climat de violence, le dialogue national instauré entre l’opposition et le gouvernement du président Daniel Ortega a repris lundi 25 juin. La Commission inter-américaine des droits de l’homme (CIDH) est arrivée dimanche 24 juin à la capitale Managua, ainsi que des fonctionnaires du HCDH pour enquêter sur ces violences, après que de nouvelles confrontations aient eu lieu le 23 juin, dans la capitale notamment, où des attaques menées conjointement par la police, les unités anti-émeutes et des paramilitaires ont fait huit morts, dont un enfant de 14 mois qui a reçu une balle en pleine tête, selon le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (CENIDH). Le lendemain a été un peu plus calme, malgré quelques attaques et des manifestations antigouvernementales dans le nord du pays.
Les évêques attendent de Daniel Ortega une réponse rapide sur la tenue d’élections anticipées qui devraient avoir lieu en mars 2019 au lieu de fin 2021, car ils estiment qu’elle est essentielle à la poursuite du dialogue national, et les opposants au gouvernement espèrent que cette présence internationale incitera le président Ortega, qui est au pouvoir depuis 2007, après une première période de 1979 à 1990, à mettre un frein, si ce n’est un terme, à la répression et à la violence.
Une «Marche des fleurs» a réuni le samedi 30 juin des milliers de Nicaraguayens à Managua, réclamant justice pour les victimes mineures de la répression. Par ailleurs, le Parlement du Nicaragua a autorisé la venue dans le pays de militaires de plusieurs pays de juillet à décembre, ce qui suscite des critiques de l’opposition. Il s’agit officiellement d’exercices de lutte antidrogue et d’aide humanitaire ?…
L’économie du Nicaragua pâtit lourdement de la crise politique
Le tourisme dans le pays le plus pauvre d’Amérique centrale souffre intensément de la paralysie du pays depuis deux mois et demi. La fermeture de nombreux commerces prive déjà d’emploi quelque 200.000 personnes et, sans sortie rapide de la crise, «1,3 million de Nicaraguayens risquent de tomber dans la pauvreté», soit un habitant sur cinq, s’inquiète la Fondation nicaraguayenne pour le développement (Funides). Si la crise se prolonge, l’ardoise pour le pays pourrait dépasser les 900 millions de dollars, selon la Fondation.
Catherine TRAULLÉ