Récit impitoyable, désabusé, drôle, dans la grande tradition du roman noir, les témoins sont convoqués, on les fait parler et mentir. Police corrompue, services secrets partisans, meurtres, enlèvements, bandes rivales sont une allégorie du Mexique contemporain. N’envoyez pas de fleurs, du Mexicain Martín Solares, invité de nos Belles Latinas d’octobre prochain et du festival international des littératures policières de Toulouse. Le roman vient paraître en format poche aux éditions 10/18.
Photo : Christian Bourgeois éditeur
La Eternidad, port et plage dans l’État de Tamaulipas. Carlos Trevio, ex-policier retiré, bien qu’il n’ait qu’une trentaine d’années, patron à présent d’un hôtel pour touristes étrangers, est «convoqué» par Rafael De León, magnat du coin, et Don Williams, consul des États-Unis, et prié, avec arguments sonnants, trébuchants et sentimentaux, de reprendre du service. Il s’agit de tenter de retrouver Cristina, la fille de De León, disparue un jour et demi plus tôt, probablement enlevée, même si aucune rançon n’a encore été demandée. Dans un décor désespérant (les magasins et les restaurants ont fermé, criblés de balles, et ceux qui continuent de fonctionner baissent leur rideau de fer avant la tombée de la nuit), Treviño entame son enquête, hors de tout contact avec la police officielle, dont on ne sait pas si elle est impliquée. Au temps où il était policier, Treviño faisait figure de mouton noir parmi ses collègues, trop indépendant par rapport au douteux commissaire Margarito qui avait fini par lui faire donner une belle raclée par ses propres collègues. Depuis, on ne cherche même plus à sauver les apparences au commissariat, comme le dit un personnage.
Le temps passe, Cristina peut être exécutée à tout moment, Treviño fait avancer son enquête, surveillé de près ou carrément poursuivi par les deux cartels principaux du coin, et aussi par les flics officiels qui le font «officiellement» passer pour un criminel de plus. Il reste pourtant des gens honnêtes à La Eternidad, le mot honnête étant encore plus relatif qu’ailleurs. La dégradation générale est récente, et donc elle peut régresser avec la même rapidité : autant d’étincelles qui empêchent ce roman noir, vraiment très noir, de l’être absolument. On est loin d’une caricature, ce qui renforce le malaise. La violence endémique aurait pu stagner au sud du Mexique, au Chiapas ou dans l’État de Guerrero, avec le mouvement zapatiste et l’Armée populaire révolutionnaire, c’est pourtant au Nord qu’elle s’est répandue, entre 2006 et 2010.
La mauvaise entente entre les gouverneurs des États et le gouvernement fédéral n’a pas arrangé la situation, surtout si l’on sait que tous les gouverneurs sont sous mandat d’arrêt national ou international. Ce qui est sûr aussi, c’est qu’à chaque étape de son enquête, la vie de Treviño est directement menacée. Le danger est partout, le suspense ne diminue pas. Le deuxième personnage important du roman est le commissaire Margarito, l’autre côté du miroir. Il permet de voir l’engrenage dans lequel il est lui-même engagé par ses supérieurs politiques (au Mexique, le chef de la police dépend directement du maire), par la situation générale qui s’est institutionnalisée. Martín Solares ne cherche pas à blanchir le policier, il explique très clairement ce qu’il vit au quotidien en dressant un constat, et la conclusion est d’un pessimisme noir.
Les explications que donne Martín Solares sont claires, elles ressemblent, dans le domaine de la pure fiction, à un véritable documentaire et complètent, sans l’alourdir, l’histoire pleine de rebondissements et de violences d’une pègre généralisée.
Christian ROINAT
N’envoyez pas de fleurs, de Martín Solares, traduit de l’espagnol (Mexique) par Christilla Vasserot, éd. Christian Bourgois, 384 p., 25 €.
Martín Solares en espagnol : No manden flores / Los minutos negros, Literatura Random House.
Martín Solares en français : Les minutes noires, Christian Bourgois et 10/18.
Martín Solares est né en 1970 à Tampico, sur le golfe du Mexique. Éditeur, critique, professeur et animateur d’ateliers littéraires, mais également auteur, ses mérites ont été récompensés à plusieurs reprises. En 1992, il reçoit la mention honorifique du Prix National Periodismo Cultural Fernando Benítez, en 1998 le Prix National Efrain Huerta pour la fiction. Ses travaux sont publiés non seulement au Mexique, mais aussi en Europe et aux États-Unis. Parmi ses œuvres notables on trouve notamment Nuevas líneas de investigación : 21 relatos contra la impunidad (2003), recueil de nouvelles et de chroniques au sujet des crimes politiques au Mexique, mais aussi des romans tels que Los minutos negros (2007), ou encore No manden flores (2015), traduit et publié en France en 2017.