Les feuilletons radiophoniques latino-américains sont un univers rose bonbon mâtiné de noirceur mélodramatique qui plaît à la fameuse ménagère de quarante ans (et à beaucoup d’autres). Le romancier salvadorien Rafael Menjívar Ochoa (1959-2011), qui connaissait bien les milieux des médias de son pays, nous invite à entrer dans un monde où la politique, l’information (soigneusement encadrée) et « les forces de l’ordre » sont très intimement unies… pour le bien de la Nation.
Photo : Rafael Menjívar Ochoa/Quidam Éditeur
Vous et moi avons bien du mal à imaginer comment un acteur qui travaille exclusivement à la radio dans des feuilletons mélodramatiques et qui s’est spécialisé grâce à (ou à cause de) sa voix dans les rôles de méchants très méchants ne peut plus s’évader de son personnage. Même sa logeuse, qui ne connaît que le voisin, l’homme ordinaire, tremble de peur devant lui, bien qu’il soit un charmant garçon. Rafael Menjívar Ochoa va vous permettre, et à moi aussi, d’entrer dans son monde, au risque de nous faire partager les dangers qu’il va devoir affronter.
Sa voix n’est pas forcément qu’un handicap. Elle va lui permettre de gagner beaucoup d’argent. Parrainé par une branche un peu spéciale de la Police nationale, on lui demande avant tout la plus grande discrétion. La police aurait-elle quelque chose à cacher ? Un peu trouble, tout ça, c’est vrai, mais quand on est au chômage…
En qui peut-on avoir confiance ? C’est une des questions posées par Rafael Menjívar Ochoa, et ce n’est pas la seule, loin de là. Il raconte une histoire avec coups de feu et rencontre amoureuse, avec suspense et menace à tous les coins de rues, événements classiques dans un polar, mais ici placés dans un environnement qui n’est pas habituel. Le piège qui se referme sur le narrateur est diabolique pour ses conséquences sur au moins deux innocents : celui qu’il va trahir et lui-même.
Rafael Menjívar Ochoa réussit, au moyen d’un récit d’une grande simplicité, à montrer froidement une violence sournoise et souterraine qui a envahi la politique et la police d’un pays non nommé, et qui peut être en Amérique latine ou ailleurs. Au-delà de l’intrigue, qui se lit d’un trait, il fait pénétrer le lecteur dans ces tractations qui doivent rester secrètes, qui impliquent des menaces pour leurs acteurs et révèlent des cercles de pouvoir (médias, police et autorités politiques), et qui n’hésitent d’ailleurs guère à flirter avec des délinquants violents.
Christian ROINAT
Ma voix est un mensonge de Rafael Menjívar Ochoa, traduit de l’espagnol (Salvador) par Thierry Davo, éd. Quidam, 153 p., 16 €.