1976. La dictature se fait de plus en plus menaçante, pas seulement pour ceux qui se sont directement engagés contre les militaires. Un petit groupe de copains décide finalement de traverser la « Flaque » avec de faux passeports, ils se retrouvent à Paris. L’histoire, s’il y en a une, balance entre morosité, ironie et drôlerie pure.
Photo : L’Atinoir
Ainsi, pour prendre un exemple, un des personnages exilés parle non de son amour-propre mais de sa haine-propre, tant il se considère dégoûté de tout ce qui l’entoure, opinion qui, elle, lui est bien propre ! Aucun misérabilisme pour décrire le quotidien de ces jeunes hommes qui ne mangent pas tous les jours à leur faim. L’auteur préfère accompagner sa description d’une distance souriante. Parler du résultat du match de foot entre les deux clubs de Buenos Aires, River et Boca depuis un boui-boui de Barbès plutôt que des dernières horreurs causées par les militaires n’enlève rien à la nostalgie pour leur ville, bien au contraire. Et quelle meilleure façon de lutter contre le terrible sentiment d’être des vaincus de l’Histoire, les autres ayant gagné par la force et le faisant sentir ? Exprimer par des mots ou des attitudes la dérision de toute chose, de l’exil en particulier, est pour eux un vrai remède à la déprime. Les mots, d’ailleurs, ils en sont amoureux, au point de nommer leur groupe le MEMO (Mouvement Extrémiste Modéré et Oxymoriste) !
Autour de nos Mousquetaires / Pieds Nickelés tournent quelques ombres menaçantes, entre autres la Duverneuil, la trop curieuse propriétaire de la minuscule chambre de Bargas et ses incessantes intrusions, ou encore Braulio, le peintre argentin, lui aussi exilé, mais qui entretient des rapports certainement un peu trop proches avec l’Ambassade dont il « oublie » qu’elle représente officiellement la dictature. Les rapports avec l’autre côté se font rares, entre les prix des communications et l’absence de tout dialogue valable, à cause bien sûr des écoutes téléphoniques. Comme dans la chanson de Chico Buarque Meus caros amigos, la seule conversation possible pour ceux de là-bas porte sur le temps qu’il fait ou encore une fois sur le football. Les compères discutent à l’infini sur Dieu, sur le tour que prend leur vie, on fait des blagues absurdes et on se donne un but farfelu : pourquoi ne pas aller rencontrer Michel Platini (même si on n’a strictement rien à lui dire) ? Une escapade philosophico-délirante à Lyon plus tard, nos modestes héros replongent dans leur occupation favorite, jouer avec les oxymores qui servent, selon eux, à « fracasser les frontières ». La leçon magistrale à tirer de leurs aventures, de leur fréquentation le temps d’un livre, est toute simple mais indispensable : l’inutile est peut-être bien l’essentiel.
Christian Roinat
De l’autre côté de l’autre côté, de Pablo Nemirovsky, traduit de l’espagnol (Argentine) par Guillermo Nemirovsky, éd. Milena (Paris) et L’Atinoir (Marseille), 171 p., 15 €.