Après Examen de mon père, publié en 2016 (édition française en 2018), remarquable et émouvante réflexion sur la personnalité du chirurgien reconnu et du père exigeant de l’auteur, Jorge Volpi revient avec ce Roman mexicain qui a obtenu le prestigieux prix du roman Alfaguara 2018. Curieusement, exactement comme en France en 2017 où le prix Goncourt (Éric Vuillard) et le Renaudot (Olivier Guez) sont davantage des récits historiques que de purs romans, cet ouvrage, malgré son titre, est essentiellement une chronique judiciaire et politique.
Photo : Tania Victoria-Secretaría de Cultura CDMX/Seuil
L’affaire Florence Cassez ‒en réalité Cassez-Vallarta‒, Israel Vallarta étant le nom du Mexicain, ex-compagnon de Florence, arrêté en même temps qu’elle et toujours incarcéré au moment de la publication originale, a fait grand bruit à partir de 2009 (date du voyage de Nicolas Sarkozy au Mexique) et jusqu’à la retentissante libération de la Française.
Jorge Volpi s’est saisi de l’affaire qui l’a particulièrement attiré, lui qui a toujours considéré la France comme sa deuxième patrie. Après des mois d’enquête très poussée, aidé par ses qualités d’écrivain reconnu et par des études de droit entamées dans sa jeunesse, il a voulu faire connaître une vérité extrêmement embrouillée depuis le début.
Dès l’arrestation de Florence Cassez et d’Israel Vallarta, tout est confus, à commencer par la date de l’arrestation qui n’est pas la même pour les suspects que pour la police : un jour d’écart entre les deux versions ! Tant que l’affaire reste au seul niveau crapuleux (le rapt de trois personnes dont un enfant par une bande organisée), on s’en tient à la divergence des points de vue. S’ajoutent les mensonges avérés de la police et de la justice mexicaines.
L’enquêteur, en s’appuyant sur la malhonnêteté générale qui a dominé à l’origine de l’affaire (la mise en scène par deux chaînes de télévision d’une fausse arrestation de présumés coupables sans qu’à aucun instant soit respectée toute présomption d’innocence), démarre ses recherches, comme le fit Voltaire pour Calas, avec la ferme volonté de défendre Israel Vallarta mais surtout Florence Cassez et de démontrer leur innocence, ce qui est probablement le cas sur le fond, aucune preuve, dans un sens ou dans l’autre n’ayant été apportée.
Tout se complique encore quand la politique fait son entrée. Deux présidents égolâtres, Felipe Calderón au Mexique et Nicolas Sarkozy en France, s’affrontent, la vérité s’efface devant ce que l’enquêteur qualifie de «combat de coqs». La maladresse de Nicolas Sarkozy et les provocations répétées doublées d’impolitesses multiples de sa ministre Michèle Alliot-Marie font capoter l’Année du Mexique en France, grande manifestation culturelle, et retardent de plusieurs années le transfert de la Française vers son pays d’origine.
L’enquête est pointilleuse et, même si en son temps on a suivi depuis la France l’affaire de près, on découvre quantité d’informations. Les manques des autorités policières, judiciaires et politiques sont manifestes et très coupables, s’opposant à deux personnalités (Israel et Florence) plutôt faibles et encore affaiblies par les circonstances dans lesquelles elles sont involontairement plongées.
Ce qui demeure à la fin de la lecture, c’est beaucoup d’amertume envers une justice mexicaine qui à l’époque (qu’en est-il aujourd’hui ?) a ostensiblement montré ses faiblesses, envers des hommes et des femmes politiques qui, des deux côtés de l’Atlantique, ont fait preuve de légèreté coupable, envers un déséquilibre judiciaire (Florence a été libérée en 2013, son «complice» mexicain est toujours emprisonné).
Demeure aussi une question troublante : où se cache le roman annoncé jusque dans le titre, dans cet excellent document, recherche fouillée et extrêmement précise, qui cite au mot près les rapports policiers et les minutes des différents procès, mais dans lesquelles les seules et rares interventions de l’auteur consistent à imaginer comment a pu réagir Florence face à telle décision des policiers ou des juges ? Ne tenons pas compte du titre et plongeons dans l’examen d’une affaire judiciaire complexe, pour paraphraser le précédent ouvrage de Jorge Volpi.
Christian ROINAT
Un roman mexicain : l’affaire Florence Cassez de Jorge Volpi, traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, éd. Le Seuil, 384 p., 22 €. Jorge Volpi en espagnol : Una novela criminal, ed. Alfaguara, Prix Alfaguara 2018 / En busca de Klingsor / El fin de le locura, ed. Seix Barral / No será la tierra / Memorial del engaño / Las elegidas / Examen de mi padre, ed. Alfaguara. Jorge Volpi en français : À la recherche de Klingsor / La Fin de la folie, éd. Plon / Le Temps des cendres / Le Jardin dévasté / Les Bandits. Opéra-bouffe en trois actes / Examen de mon père, éd. Le Seuil.
Jorge Luis Volpi Escalante, né le 10 juillet 1968 à Mexico, est membre, avec Ignacio Padilla, Eloy Urroz, Pedro Angel Palou, Ricardo Chávez Castañeda et Vicente Herrasti, de la «Génération du crack» qui se veut en rupture avec le Boom latino-américain.