Dans le Santiago de 2004, le détective Heredia mène une double enquête avec son chat Simenon qui l’accompagne dans ses recherches… Le Chilien Ramón Díaz Eterovic publie son septième roman en français – Le deuxième vœu – toujours chez le même éditeur : Métailié-Noir. Le grand auteur du polar chilien sera un des invités de nos Belles Latinas de novembre prochain.
Santiago, 2004 : il y a Heredia, le détective désargenté, cherchant ou attendant désespérément un client, se sentant vieillir ; il y a les copains, le fidèle Anselmo ancien jockey qui a gardé la passion des paris hippiques et qui est toujours prêt à seconder et à secourir le privé ; le dévoué journaliste Campbell toujours là lui aussi pour aider Heredia ; il y a les femmes qu’il a aimées, la policière Doris Fabra avec qui il fera équipe dans cette aventure, et celle qu’il aime encore et qu’il va retrouver, la belle et rousse Griseta ; et pour en finir avec toute cette liste, il y a l’incomparable Simenon, le chat raisonneur, sorte de double avec lequel il dialogue longuement, le matou tendre et consolateur à ses heures.
Et cette fois, il y a deux enquêtes à mener de front : il lui faut retrouver un vieillard de quatre-vingt ans, père d’un exilé du coup d’État trente ans plus tôt, revenu d’Allemagne pour renouer les liens familiaux dans un Chili qui lui est devenu étranger. Et derrière cette disparition, le lecteur va découvrir peu à peu le scandaleux traitement réservé aux vieux esseulés, dans une société qui n’en veut plus et dont les maigres pensions attisent les convoitises. Heredia prend des coups, file de piste en piste, d’échec en avancée, à travers la ville un peu monstrueuse, jusqu’à la vérité finale.
Et puis, va se mêler à cette mission une autre quête imprévue, très personnelle, la recherche inattendue de son propre père qu’il n’a jamais connu. Heredia se découvre, nous confie son passé d’enfant élevé à la mort de sa mère, l’année de ses cinq ans, dans un orphelinat, par un prêtre, véritable père de substitution, qui lui a tout appris des rudiments de la boxe aux valeurs morales. A partir de trois photographies de ses parents qu’on lui lègue, Heredia remonte la piste de ce père inconnu, et plus il approche de la vérité, plus il redoute d’affronter ses origines. L’auteur en profite pour nous parler de la solitude, de la nostalgie, de l’angoissante vieillesse. Il nous livre aussi des descriptions précises, réalistes et saisissantes des quartiers de Santiago, ou de la campagne au sud.
Dans la trame classique d’un polar avec ses péripéties, ses coups de théâtre, ses coups de poing, se glisse un autre roman de réflexion, d’analyse psychologique qui fait de Heredia non pas un détective de papier, mais un vrai être humain terriblement attachant dans ses faiblesses, ses doutes et son passé.
Voilà donc un livre très original, qui renvoie chacun d’entre nous à son questionnement intime : doutes, angoisses face à la vieillesse, la solitude, la mort. Nous nous confrontons aussi à la nostalgie du passé disparu : les transformations inévitables de la ville, la disparition définitive des gens connus ou aimés nous font recomposer de façon universelle notre mémoire, peuplée d’imaginaire, de pièges et d’obstacles parfois durs à franchir. Nous sommes tous des Heredia, perdus entre sentiments et raison, entre tendresse et mélancolie, nous avons tous un peu du pragmatisme du chat, Simenon. Ce beau roman très abouti nous le rappelle de façon magistrale.
Louise LAURENT